Serge Gainsbourg : musique, excès... Biographie de l'auteur de "La Javanaise"
SERGE GAINSBOURG - Chanteur, acteur et cinéaste français, Serge Gainsbourg est connu pour ses chansons, mais possède également une réputation d'homme provocateur et excessif, créant un alter ego du nom de Gainsbarre.
Serge Gainsbourg, de son vrai nom Lucien Ginsburg, est né le 2 avril 1928 à Paris et mort le 2 mars 1991 à Paris. Au début de sa carrière, Serge Gainsbourg représente le dandy chic. Progressivement, il se mue en un personnage provocateur à la barbe naissante. Poète maudit ou véritable artiste de génie, il laisse derrière lui une œuvre considérable et une impressionnante listes d’interprètes. Ses parents, Joseph Ginsburg et Olia Besman sont des immigrants juifs d’origine russe. Ils ont quitté leur pays natal en 1919, pour fuir la révolution Bolchevique et rejoindre le frère d’Olia, installé à Paris.
Leur premier enfant, Marcel, meurt à l’âge de seize mois. Une fille, Jacqueline, naît en 1926, puis le 2 avril 1928, Serge Gainsbourg, né Lucien Ginsburg, pousse son premier cri quelques minutes après sa jumelle Liliane. Joseph, premier prix de piano au conservatoire de musique, est pianiste dans des bars et des cabarets. Il donne très tôt à son fils le goût de la musique classique et du jazz et l’initie au piano. Passionné de peinture, il inscrit également son fils, âgé de treize ans, dans une académie d’art.
La biographie de Serge Gainsbourg est ponctuée de sombres périodes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Lucien porte l’étoile jaune et est contraint de se cacher dans un internat. La famille échappe heureusement à la déportation. Après la guerre, le jeune homme est en échec scolaire. Il s’inscrit cependant en école d’architecture mais abandonne définitivement sa formation deux ans plus tard. A cette époque, il peint des femmes nues et rencontre Elisabeth Levitsky, une fille d’aristocrate russe qu’il commence à fréquenter. Parallèlement, il s’inscrit dans une école de musique pour apprendre le solfège. Il effectue ensuite son service militaire au cours duquel il développe un tempérament solitaire et mélancolique. A son retour, il trouve un emploi d’éducateur pour les enfants juifs et les jeunes rescapés des camps nazis au Centre de Champsfleur. Pédagogue né, il s’entend merveilleusement bien avec ces enfants et leur fait découvrir le dessin et la peinture. Là-bas, il compose ses premières chansons qu’il interprète à la guitare lors de veillées.
Les débuts en chanson de Gainsbourg
Après son mariage avec Lise, le 3 novembre 1951, il s’éloigne de la peinture. Il détruit ses toiles pour définitivement arrêter de peindre. Il court alors les cachets en tant que pianiste et guitariste dans les bals et cabarets. Mais c’est vers une toute autre carrière qu’il se destine, celle d’auteur-compositeur-interprète. Le 1er juillet 1954, il est admis à l’examen de la SACEM et dépose ses six premières chansons (dont "Défense d’afficher" et "Les amours perdus") sous le pseudonyme de Julien Grix. Pendant deux ans, il est pianiste et chef d’orchestre de Madame Arthur, un cabaret transformiste parisien. Il décroche ensuite un contrat au cabaret Milord l’Arsouille. Michèle Arnaud, qu’il accompagne régulièrement au piano, est la première à l’interpréter. Bientôt, d’autres artistes, tels que Philippe Clay et les Frères Jacques, l’ajouteront à leur répertoire. Il abandonne son prénom qu’il déteste, pour devenir Serge Gainsbourg.
Malgré un physique ingrat, l’homme est un séducteur qui plait aux femmes. Il s’éloigne de son épouse pour divorcer un an plus tard. À partir de mars 1957, il commence à chanter tous les soirs au cabaret Milord l’Arsouille. Repéré par un directeur artistique, il signe sur le label Philips. Le 3 septembre 1958, Serge Gainsbourg sort son premier album, "Du chant à la une", dont sont extraits "Le poinçonneur des lilas" et "Ronsard 58". Ce premier essai est récompensé du prix de l’académie Charles Cros. En 1959, Serge Gainsbourg obtient son premier rôle au cinéma dans "Voulez-vous danser avec moi ?" Pendant toute sa vie, il gardera un lien étroit avec le cinéma, composant de nombreuses bandes originales. Il lui faut cependant attendre 1960 pour qu’il obtienne son premier succès avec "L’eau à la bouche".
Juliette Gréco, de son côté, fait connaître sa chanson "La Javanaise". Mais Serge Gainsbourg a toujours du mal à émerger en tant qu’interprète. Nous sommes dans la période Yéyé symbolisant l’insouciance et la liberté. Lui, chante des thèmes beaucoup plus sombres et contestataires. Il prend conscience du phénomène et décide de s’adapter. En 1965, il écrit "Poupée de cire, poupée de son" pour France Gall. Le titre gagne l’Eurovision et le place sur le devant de la scène.
Gainsbourg devient Gainsbarre
En 1968, il fait la rencontre de Jane Birkin sur le tournage d'un film. Elle deviendra sa muse et sa compagne. Le 21 juillet 1971, la chanteuse donne naissance à Londres à une petite fille prénommée Charlotte. Dans le même temps, Serge compose le premier album de sa compagne "Di doo dah". En 1973, pendant l'enregistrement de "Vu de l'extérieur" sur lequel on retrouve "Je suis venu te dire que je m'en vais", Serge Gainsbourg est victime d'une première attaque cardiaque. Les médecins lui déconseillent désormais de fumer et de boire. Mais le personnage provocateur de Gainsbarre, fumeur et buveur invétéré, prend forme et ne le quittera plus jusqu'à sa mort. Deux ans après l'incident, il sors "Rock around the bunker", un album boycotté par les critiques pour ses propos dérangeant. La même année, il tourne "Je t'aime moi non plus", son premier film en tant que réalisateur.
En novembre 1976, il retrouve l'approbation des critiques en sortant "L'homme à la tête de chou", un album conceptuel. Il délaisse temporairement ses artistes féminines pour s'occuper d'Alain Chamfort. Il lui écrit l'album "Rock'n rose" puis l'hommage au navigateur Alain Colas "Manureva". En 1978, son actualité se partage entre la sortie du tube de l'été "Sea, sex and sun", bande originale des Bronzés, et "Ex fan des sixties", le nouvel album de Jane Birkin. Il clôt la décennie en enregistrant son nouvel album à Kingson en Jamaïque. Il s'attire une nouvelle fois les foudres des critiques, avec le titre "Aux armes et caetera". Sur une rythmique reggae, il interprète une version personnelle de "La Marseillaise".
Gainsbourg enchaîne les albums
Au début des années 80, fatigué des excès de Serge, Jane Birkin le quitte. Le personnage de Gainsbarre, frappé par le désespoir, poursuit sa déchéance et boit sans s'arrêter. Il continue pourtant à être un auteur-compositeur prolifique. Il retrouve le cinéma au côté de Catherine Deneuve dans le film "Je vous aime", dont il écrit également la musique. Catherine Deneuve devient une de ses innombrables interprètes. Avec elle, il chante en duo "Dieu est un fumeur de Havane". Il lui écrit un album "Souviens toi de m'oublier". En 1983, il transforme Isabelle Adjani en chanteuse le temps d'un titre, "Pull Marine", et d'un album. Un an plus tard, il délivre un nouvel album à Jane Birkin, "Baby alone in Babylone".
En avril 1984, Serge Gainsbourg enregistre un album aux sonorités funk aux Etats-Unis. "Love on the beat" est la meilleure vente de sa carrière. Sur la pochette, il apparaît maquillé en travesti. Le temps d'un titre "Lemon incest", il chante en duo avec Charlotte Gainsbourg, sa fille. Deux ans plus tard, il la mettra en scène dans le film "Charlotte for Ever" et lui écrit son premier album. Son dernier disque s'intitule "You're under arrest". Celui-ci sonne comme un hommage. Il inclut une reprise modernisé de "Mon légionnaire" d'Edith Piaf. Durant les dernières années de sa vie, Serge Gainsbourg renoue avec ses origines. Il écrit un album pour la jeune chanteuse Vanessa Paradis sur lequel on peut écouter "Tandem" et "Dis lui toi que je t'aime" et offre le titre "White and Black blues" pour Joelle Ursulle et le concours de l'Eurovision. En 1990, il réalise son dernier film "Stan Flasher".
Gainsbourg, les femmes de sa vie
De 1951 à 1957, Serge Gainsbourg est marié à une fille d'aristocrates russes émigrés du nom d'Elisabeth Levitsky. Il se marie ensuite avec Françoise-Antoinette Pancrazzi dite Beatrice en 1964, ils ont une fille, Natacha, née le 8 août 1964. Ils divorcent en 1966 et se réconcilient en 1967, ils ont un fils nommé Paul, dit Vania. En 1966, avec "Qui est in ? Qui est out", il inaugure une série de 45 tours rock. Il tourne dans la comédie musicale "Anna" pour la télévision aux côtés de Jean-Claude Brialy et d'Anna Karina. Il en signe également la bande originale. Il collabore ensuite avec Brigitte Bardot et lui offre coup sur coup deux succès "Harley Davidson" et le duo "Bonny and Clyde". Les deux artistes ont une brève liaison qui conduira à l'enregistrement de la première version du duo "Je t'aime moi non plus". Mais Brigitte Bardot est mariée et décide de rompre. La rupture anéantit Serge et le plonge dans une dépression. En souvenir de cet amour perdu, il écrit l'album "Initiales B.B". La même année, il écrit pour Françoise Hardy les paroles de "Comment te dire adieu".
Serge Gainsbourg trouve sa rédemption dans sa rencontre avec Jane Birkin sur le plateau du film "Slogan". Cette dernière est âgée de vingt ans et parviendra à apprivoiser le poète. Ils chantent ensemble pour la première fois sur la bande originale du film. Elle devient sa muse et enregistre avec lui "69, année érotique" et une nouvelle version de "Je t'aime moi non plus", qui cette fois-ci sera commercialisée. Ce tube, interdit dans de nombreux pays, est l'occasion pour Serge Gainsbourg de scandaliser, une nouvelle fois après "Les sucettes", contre les mœurs bien pensantes de l'époque. Grâce à Jane Birkin, il stabilise sa vie personnelle.
Elle lui inspire un de ses albums majeurs, l'album conceptuel "L'histoire de Mélodie Nelson", que la presse encense et qualifie de "premier poème symphonique de l'âge pop". En 1981, il a une relation avec une mannequin du nom de Bambou et ont un fils, Lucien, dit Lulu Gainsbourg, né le 5 janvier 1986. De plus, il rencontre Constance Meyer, une jeune fille de 16 ans, qui devient son amante jusqu'à sa mort.
Charlotte Gainsbourg, tel père telle fille
Née le 21 juillet 1971, Charlotte Gainsbourg marche rapidement dans les pas de son père. Très tôt, elle débute au cinéma, poussée par sa mère Jane Birkin. Après quelques premiers films, notamment dans "L’effrontée", pour lequel elle reçoit le César du meilleur espoir féminin en 1986, elle fait ses débuts dans la musique, aux côtés de son père Serge Gainsbourg, sur l'album "Charlotte for Ever", en 1986. Elle enchaîne ensuite les rôles, devient l'égérie de la marque Gérard Darel, reçoit le prix d'interprétation féminine au festival de Cannes en 2009 pour son rôle dans l'"Antichrist" de Lars Von Trier et devient parallèlement l'une des artistes les plus incontournables de sa génération. Elle intègre dès 1994 la troupe des Enfoirés, chante avec Madonna sur l'album "Music" en 2000 ou avec Étienne Daho en 2003 sur le disque "Réévolution".
Côté vie privée, Charlotte Gainsbourg est en couple depuis 1991 avec le comédien et réalisateur Yvan Attal. Ensemble, ils ont trois enfants, Ben, né en 1997, Alice, née en 2002 et Jo, né en 2011. "J'avais 19 ans quand mon père est mort. Je pensais que je ne m'en remettrais pas (...) J'ai fait comme s'il était encore là. Pendant des années, j'étais une loque. Yvan m'a récupérée très peu de temps après et il a eu la patience d'attendre, je ne sais pas… dix ans… que, petit à petit, j'émerge. Il y avait aussi une complaisance dans le malheur", confiait Charlotte Gainsbourg dans les colonnes de Vanity Fair en 2013.
Gainsbourg, mort d'excès
À partir de 1973, Gainsbourg subit plusieurs crises cardiaques. Le 2 mars 1991, en fin d'après-midi, Lucien Ginzburg, alias Serge Gainsbourg, succombe à sa cinquième crise cardiaque, épuisé par de nombreux excès, à son domicile parisien, rue de Verneuil. Personnage cynique et souvent décrié pour ses propos provocateurs "L'Homme à la tête de chou", comme il se qualifiait lui-même, considérait la musique comme un art mineur. La grande frustration de sa vie sera de n'avoir jamais été un grand peintre. Compositeur pour lui mais aussi pour les autres (Adjani, Bardot, Birkin, Gall ou Gréco), il laisse à sa mort un répertoire d'une richesse incroyable. Lors de son enterrement au cimetière Montparnasse à Paris le 7 mars 1991, Catherine Deneuve lira les paroles de la chanson "Fuir le bonheur de peur qu'il ne se sauve". Il venait de composer un album de blues et prévoyait de l'enregistrer.
Gainsbourg en cinq chansons polémiques
Peut-on encore écouter les chansons de Serge Gainsbourg la conscience tranquille ? Génie incontesté et incontestable de la musique, certaines de ses paroles sont aujourd'hui plus sensibles que de son vivant. "Mon père serait condamné, pour chaque chose qu'il a faite. Tout est si politiquement correct aujourd'hui. Si ennuyeux. Si prévisible. Et tout le monde a peur de ce qui se passerait s'il allait trop loin", confiait sa fille, Charlotte Gainsbourg, à propos des polémiques que pourrait soulever l'œuvre de son père aujourd'hui, dans les colonnes du site britannique The Guardian.
Provocateur, Serge Gainsbourg l'a toujours été. Déjà, durant son vivant, le chanteur de Lemon Incest, ses textes et quasiment toutes ses apparitions publiques ont fait couler bien de l'encre. Alors en 2021, à l'heure de la libération de la parole, du #Metoo et #Balancetonporc, puis de l'affaire Olivier Duhamel et le flot de témoignages d'inceste, quelles sont les chansons de Serge Gainsbourg qui continuent de faire débat ?
Lemon Incest, Charlotte et Serge Gainsbourg
C'est la chanson polémique par excellence du répertoire de Serge Gainsbourg : Lemon Incest. Sorti en 1984, le titre, qui est selon lui une déclaration d'amour platonique à son enfant de 12 ans, créé un tollé. Serge Gainsbourg devra se défendre des accusations de pédophilie. Son clip est même censuré par MTV et reste toujours aujourd'hui, sujet à débats. "Bien sûr, il joue avec la provocation. Mais il est excessivement sincère et honnête dans son propos. Cette chanson, Lemon Incest, je voudrais la chanter à nouveau et en même temps, c'est vrai aujourd'hui, je comprends que ça soulève..... C'est un sujet tellement choquant que c'est délicat en fait, c'est très délicat", explique en ce sens Charlotte Gainsbourg, sa fille, face à Augustin Trapernard dans Boomerang sur France Inter ce mardi 2 mars. Et d'ajouter : "Je l'aime beaucoup parce que de mon côté, elle est tellement innocente, ça s'entend."
Les Sucettes de France Gall et Serge Gainsbourg
Parmi les autres tubes de Serge Gainsbourg à avoir fait polémique à l'époque et qui reposent question aujourd'hui, la chanson écrite en 1966 Les Sucettes, chantée par une France Gall âgée à l'époque de 18 ans. "Annie aime les sucettes, les sucettes à l'anis...", chantait la jeune femme, qui assure à l'époque ne pas avoir saisi le double sens des paroles de cette chanson qui deviendra pourtant l'une de ses plus connues. "Quand il a écrit la petite chanson, je me voyais. C'était l'histoire d'une petite fille qui allait chercher ses sucettes à l'anis. Mais en même temps, je sentais que ce n'était pas clair. C'était Gainsbourg quand même", confiait l'artiste au Parisien en 2015. Et de renchérir : "Je n'en comprenais pas le double sens et je peux vous certifier qu'à l'époque, personne ne comprenait le double sens."
Aux armes et cætera et les accusations de racisme
Outre ses amours pour des femmes très jeunes, Serge Gainsbourg a également été accusé de racisme après la chanson Aux armes et cætera, sortie en mars 1979. Une réinterprétation de l'hymne français, La Marseillaise, version reggae. A l'époque, le titre est taxé d'antimilitariste et l'homme à la tête de choux taxé d'antisémitisme par Michel Droit, journaliste au Figaro magazine. Une chanson et un scandale national pour le chanteur, qui se défend en disant que "la Marseillaise est un chant révolutionnaire", comme "le reggae". La classe politique débat, les conservateurs et les militaires s'émeuvent : on ne touche pas à l'hymne national.
Je t'aime... moi non plus, la censure de Serge Gainsbourg
A l'origine, la chanson Je t'aime... moi non plus aurait dû être chantée par Brigitte Bardot. Mais l'époux de la chanteuse refuse et déjà, le scandale entoure ce titre. C'est finalement à Jane Birkin, 20 ans, que Serge Gainsbourg offrira le morceau, en 1968, début de leur romance. Je t'aime... moi non plus, qui mêle les râles charnels des deux artistes, sera qualifiée d'obscène par le Vatican et boycotté par les radios italiennes, suédoises et espagnoles. Le label Philips refuse de commercialiser la chanson et les radios françaises ne la diffusent pas. "Je vais, je vais et je viens. Entre tes reins. Je vais et je viens. Entre tes reins. Et je me retiens" : le texte, à l'époque, ne passe pas. Qu'en serait-il aujourd'hui ?
Love and The Beat, sulfureux Gainsbourg
Si Serge Gainsbourg se plaisait à provoquer son auditoire en écrivant des chansons qui parlent de sexe explicitement, la plus sulfureuse serait peut être Love and The Beat. Après les gémissements de Jane Birkin dans Je t'aime... moi non plus, ce sont les cris de Bambou, sa dernière compagne, que l'on entend derrière la voix de Serge Gainsbourg, qui chante : "D'abord je veux avec ma langue (...) Ma belle enfant écartelée. Là j'ai touché le point sensible. Attends je vais m'y attarder (...) Il est temps de passer aux choses. Sérieuses ma poupée jolie. Tu as envie d'une overdose. De baise voilà je m'introduis."