Avortement : quelles sont les règles de l'IVG en France ?
AVORTEMENT. En réaction à la décision de la Cour Suprême des Etats-Unis d'annuler la loi qui garantissait l'accès à l'IVG à toutes les femmes, des députés français proposent d'inscrire le droit à l'avortement dans la Constitution. Que dit la loi en France ?
[Mis à jour le 18 octobre 2022 à 14h35] Le droit à l'avortement va devenir loi constitutionnelle. C'est en tout cas la volonté du groupe Renaissance (ex-LREM) qui a déposé une proposition de loi visant à sanctuariser le droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette initiative, officialisée le 25 juin 2022 par Aurore Bergé, la présidente du groupe à l'Assemblée, est intervenue alors que les Etats-Unis venaient de se départir de ce droit majeur. En juin 2022, la Cour Suprême a en effet pris la décision historique de révoquer le droit à l'avortement en annulant l'arrêt Roe v. Wade qui, depuis 1973, le garantissait dans tout le pays. A partir de là, chaque Etat américain s'est retrouvé libre d'interdire ou d'autoriser l'IVG : 13 d'entre eux, dont le Mississipi et le Texas, ont adopté des lois dites "automatiques" pour rendre tout avortement illégal dès la décision annoncée (ou dans les 30 jours suivants). Une douzaine d'autres Etats devaient suivre cette décision, limitant ou interdisant ce droit dans une large partie du pays (la moitié des Etats seraient in fine concernés).
Inscrire dans la Constitution le droit à l'avortement est une "garantie que l'on doit donner aux femmes", selon Aurore Bergé, qui s'est exprimé sur France Inter le 25 juin 2022. Pour la majorité, l'initiative servirait à sanctuariser la loi Veil qui, depuis 1975, permet à toutes les femmes d'avoir recours à l'IVG sur le sol français. Une assurance constitutionnelle que défendent également les députés de l'intergroupe de la Nupes, qui proposent, dans un communiqué publié sur le compte Twitter de la leader LFI Mathilde Panot ce même 25 juin, qu'un "texte commun à l'ensemble des groupes de l'Assemblée" soit déposé pour "protéger ce droit fondamental en l'inscrivant dans la Constitution dans les plus brefs délais".
Si la cheffe de file des parlementaires LREM assurait que cette consolidation de l'avortement dans le droit français serait "largement partagée sur les bancs de l'Assemblée nationale et du Sénat", les premières prises de parole prouvent le contraire : certains n'y voyant pas l'intérêt, à l'instar du président du MoDem Français Bayrou, qui s'est interrogé sur "l'utilité" d'une telle décision alors qu'"aucun courant politique ne remet en cause la loi Veil" (des propos tenus sur le plateau de BFMTV). Du côté de l'extrême-droite aussi, on se demande s'il est "décent d'importer les problèmes que connaissent les Etats-Unis", comme l'expliquait sur France Info le porte-parole du RN Laurent Jacobelli, qui estime que ce n'est "pas une question de Constitution", et qui s'insurge que "l'attention" soit attirée sur des "faux problèmes".
Que dit la loi française sur l'avortement ?
En France, le projet de loi sur l'avortement, porté par Simone Veil, a été adopté le 29 novembre 1974 par 284 voix contre 189 à l'Assemblée nationale. Depuis, toutes les femmes peuvent avoir recours à l'IVG sur le sol français dans un délai fixé à 7 semaines à l'origine puis passé à 14 semaines en 2022. La législation a en effet évolué depuis la loi Veil, sécurisant et élargissant l'accès à l'avortement. Un "délit d'entrave à l'interruption volontaire de grossesse (IVG)" a été reconnu par la loi du 27 janvier 1993 notamment. Il se caractérise par la perturbation de l'accès aux établissements pratiquant des IVG ou par l'exercice de pressions sur les femmes souhaitant avorter.
La loi sur l'avortement du 25 mars 2013 permet aussi le remboursement intégral de l'IVG pour toute les femmes et le remboursement à 100% de la contraception pour les mineures. Un an plus tard, la loi du 4 aout 2014 a en revanche supprimé la notion de détresse des conditions de recours à l'IVG. En 2016, une loi a supprimé le délai minimal de réflexion. Elle permet aux sages-femmes de pratiquer les IVG médicamenteuses et aux centres de santé des IVG instrumentales. La loi du 20 mars 2017 étend le délit d'entrave à internet et aux réseaux sociaux.
L'avortement a encore bénéficié de nouvelles garanties plus récemment. Un décret signé le 19 février 2022 étend les conditions de réalisation des interruptions volontaires de grossesse par voie médicamenteuse hors établissements de santé. Il prévoit un allongement des délais jusqu'à 7 semaines de grossesse, la possibilité de prise en charge IVG en téléconsultation avec délivrance des médicaments abortifs à la patiente en pharmacie d'officine, mais aussi la suppression de la première prise obligatoire de médicament devant le professionnel de santé.
Enfin, la loi du 2 mars 2022 visant à renforcer le droit à l'avortement a rallongé le délai légal pour avorter, porté à 14 semaines de grossesse (16 SA). Il est à noter que les mineures non émancipées doivent obtenir l'autorisation d'une personne majeure de leur choix. L'IVG est remboursée à 100 % par l'assurance maladie sur la base d'un tarif de 500,14 euros à 664,05 euros pour l'IVG chirurgicale et de 187,92 euros à 193,16 euros pour l'IVG médicamenteuse. L'avortement est plutôt bien accepté dans la société française : près de 75 % des Français sont favorables à cette pratique, contre 48 % en 1975, selon un sondage IFOP réalisé en 2014.
Quels sont les délais légaux pour un avortement ?
En France et en Belgique, les délais sont identiques : l'IVG médicamenteuse peut être réalisée jusqu'à la cinquième semaine de grossesse, soit au maximum sept semaines après le début des dernières règles, tandis que l'IVG par aspiration peut être réalisée jusqu'à la douzième semaine de grossesse, soit au maximum 14 semaines après le début des dernières règles. L'avortement est toléré au-delà de 12 semaines si la grossesse menace la vie de la femme ou si l'enfant à venir est atteint d'une maladie grave et incurable. Plus de la moitié des pays d'Europe ont fixé ces mêmes limites, rappelle le site Touteleurope.eu. Sur le Vieux continent, l'amplitude des délais maximum pour avorter vont de 10 semaines au Portugal à 24 semaines (au Royaume-Uni et au Pays-bas).
Que contient la proposition de loi visant à inscrire l'IVG dans la Constitution ?
Le texte que propose désormais la majorité tient en une vingtaine de lignes. Il débute sur la nécessité de prendre conscience de la fragilité de ce droit, au vu de l'"insupportable retour en arrière" qui a lieu aux Etats-Unis et qui "nous force à rappeler le caractère indispensable et inviolable du droit à l'avortement dans notre pays et dans le monde." En stipulant que "nul ne peut être privé du droit à l'interruption volontaire de grossesse", cette proposition de loi constitutionnelle propose "d'inscrire dans la Constitution l'impossibilité de priver une personne du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG)."
La révision de la Constitution que supposerait l'application de cette loi peut avoir lieu à l'initiative du président de la République ou à celle du Parlement. "Dans ce domaine, les deux assemblées parlementaires disposent des mêmes pouvoirs, ce qui implique que le projet ou la proposition de loi constitutionnelle soit voté dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et le Sénat", précise le site officiel de l'Assemblée. Le texte doit ensuite être définitivement adopté, soit par référendum, soit par "un vote à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés des deux chambres du Parlement réunies en Congrès à Versailles". v
Que changerait une inscription de l'IVG dans la Constitution ?
La décision de la Cour suprême américaine sur l'avortement l'a prouvé, les droits ne sont jamais pleinement acquis. Personne n'est à l'abri d'un revirement au gré des courants politiques. "Cela appelle aussi à ce que nous prenions en France des dispositions pour qu'on ne puisse pas avoir demain des revirements qui pourraient exister", expliquait Aurore Bergé le 25 juin 2022, qui entend, à l'instar de la grande majorité des députés LREM et Nupes, sanctuariser ce droit pour qu'il ne soit pas à la merci des décideurs qui se succèdent. Dans son interview pour France Inter, elle cite notamment "les nouveaux députés RN qui sont pour certains des opposants farouches de l'accès à l'IVG". Face à d'éventuelles réticences et propensions à revenir sur le droit à l'avortement, la nouvelle cheffe de file des députés LREM a affirmé : "Il faut le sécuriser pour l'inscrire dans le marbre de la Constitution". Pour les juristes du même avis, cette inscription dans la Constitution permettrait d'entraver, voire d'empêcher les velléités de retoucher, d'affaiblir voire de supprimer la loi. Lisa Carayon, maîtresse de conférences en droit à la Sorbonne Paris 1 expliquait au journal La Croix le 27 juin 2022 que "remettre en cause ce droit supposerait dès lors de réviser la Constitution, une procédure lourde", ce qui permettrait de "rendre plus compliquée la suppression totale de l'avortement".
Et juridiquement, inscrire l'avortement dans la Constitution, est-ce faisable ? L'adoption de cette loi fondamentale nécessiterait soit le passage par un référendum, dans le cas où l'Assemblée nationale et le Sénat adoptaient en amont le texte dans des termes similaires, soit une proposition des parlementaires portée par le président de la République lui-même, reprenant alors le projet de loi et convoquant un Congrès à Versailles (la condition serait alors d'obtenir la majorité des 3/5). Il est toutefois important de noter que dans le langage constitutionnel, on parle de "liberté" et non pas de droit, afin d'arbitrer entre le respect de la vie et la liberté individuelle, comme le rappelait à La Croix le constitutionnaliste Bertrand Mathieu. Mais, si cela ne ferait pas de l'accès à l'IVG un droit plein et entier, cela serait un gage de sécurité pour les femmes françaises.
Qui sont les opposants à l'inscription du droit à l'IVG dans la Constitution ?
Si pour l'heure, personne ne s'est frontalement opposé à la proposition de loi d'Aurore Bergé, certains questionnent son utilité. Marine Le Pen, dans le sillage de son porte-parole, s'est interrogée sur une "agitation" qui ne lui "paraît pas justifiée". Elle a tenu à faire la distinction avec les Etats-Unis, rappelant qu'"aucun parti n'envisage de changer notre législation" sur l'avortement, comme le rapporte Le Monde. Le président par intérim du RN Jordan Bardella a abondé : "Aucun mouvement politique sérieux ne remet en cause en France la loi Veil, acquis à protéger", a-t-il assuré sur Twitter, jugeant même que le gouvernement tente d'"instrumentaliser" ce qui relève de la "politique intérieure américaine" pour "faire diversion"... "Où sont ses plans d'urgence pour le pouvoir d'achat et contre l'immigration ?", interroge-t-il.
Comme sub-cité, le président du Modem François Bayrou fait aussi partie des circonspects, lui qui s'est dit "surpris" des "réactions effervescentes" que la suppression de l'avortement du droit américain a suscité dans la vie politique française. Pour Anne-Cécile Mailfert, présidente de la Fondation des femmes contactée par l'AFP, ce droit ne tient qu'à un fil. "Il suffirait qu'on ait un Parlement avec une majorité conservatrice, et l'avortement pourrait être interdit", a-t-elle expliqué à l'AFP.
Qu'est-ce que l'IVG médicamenteuse ?
L'IVG médicamenteuse peut être pratiquée dans un centre de santé ou à domicile, par l'intermédiaire d'un médecin ou d'une infirmière. La méthode consiste à prendre deux médicaments à 24 ou 48 h d'intervalle. Aucune anesthésie, ni intervention chirurgicale n'est nécessaire. Des saignements, des troubles gastro-intestinaux, des douleurs abdominales, de la fièvre et des frissons peuvent apparaître. La plupart des femmes témoignent de douleurs équivalentes à des douleurs menstruelles. Un examen gynécologique est nécessaire après l'avortement.
Qu'est-ce que l'IVG par aspiration ?
L'IVG par aspiration, ou chirurgicale, consiste à aspirer l'embryon avec une canule introduite dans l'utérus. Des contractions utérines peuvent survenir après l'opération. L'intervention est pratiquée par un médecin dans un établissement de santé et dure une quinzaine de minutes, qui sont suivies d'une courte période de repos. La patiente bénéficie d'une anesthésie locale ou générale. L'IVG par aspiration comporte des risques, comme n'importe quelle autre opération chirurgicale.