Effet Matilda : ces femmes scientifiques ont vu leur découverte oubliée, souvent au profit des hommes
Elles ont été éjectées des remises de prix, leur nom n'a jamais été cité ou encore leur mérite a été attribué à un autre. Dans les années 1990, l'historienne des sciences Margaret Rossiter théorise ce phénomène sous le nom "d'effet Matilda", hommage à la militante féministe Matilda Joslyn Gage, qui à la fin du XIXème siècle avait soulevé que certains hommes tendaient à s'accaparer les pensées intellectuelles des femmes. Margaret Rossiter avait alors constaté que nombre de femmes scientifiques n'avaient que peu bénéficié des retombées de leurs recherches et souvent au profit des hommes. Elles n'ont pas pu connaitre la reconnaissance qui leur était due après leurs découvertes et ont été victimes d'invisibilisation.
Rosalind Franklin
Rosalind Franklin (1920-1958) était une biochimiste et cristallographe britannique, reconnue pour ses travaux essentiels sur la structure de l'ADN. Elle a utilisé la diffraction des rayons X pour obtenir des images de haute qualité des fibres d'ADN, dont le célèbre "Cliché 51". Cette image a joué un rôle crucial dans la découverte de la double hélice de l'ADN par James Dewey Watson, Maurice Wilkins et Francis Crick. Cependant, cette contribution a été largement sous-estimée et ses travaux auraient été dérobés à son insu. En 1962, ses collègues ont obtenu le prix Nobel de médecine pour cette découverte sans reconnaitre le rôle de Rosalind Franklin, qui a perdu la vie quelques années auparavant d'un cancer de l'ovaire. Seul Maurice Wilkins l'a rapidement remerciée. Le prix pouvait pourtant être discerné à titre posthume jusqu'en 1974, mais il a fallu attendre 2003 pour que, lors d'une interview, James Dewey Watson reconnaisse qu'elle l'aurait également mérité.
Mileva Einstein
Mileva Einstein (1875-1948) était une physicienne et mathématicienne serbe, mieux connue pour avoir été la première épouse d'Albert Einstein. Elle a étudié à l'École polytechnique de Zurich, où elle était l'une des rares femmes de sa promotion. Bien que son rôle exact dans les travaux d'Albert Einstein reste débattu, il est souvent suggéré qu'elle a contribué à ses recherches sur la relativité restreinte. Les lettres échangées entre elle et Albert Einstein témoignent de son implication intellectuelle, mais après leur séparation, elle a eu une vie difficile et ses contributions ont été largement ignorées. Si le génie d'Albert Einstein n'est nullement remis en question, la contribution de sa première épouse et ses propres travaux ont pu être minimisés.
Jocelyn Bell Burnell
Jocelyn Bell Burnell (née en 1943) est une astrophysicienne britannique, célèbre pour avoir découvert les premiers pulsars en 1967 alors qu'elle était encore étudiante de doctorat sous la direction de Antony Hewish. Lors de ses recherches, elle a observé un signal régulier d'ondes radio, qu'elle a initialement pensé être un "signal extraterrestre", avant de réaliser qu'il provenait d'un pulsar, une étoile à neutrons en rotation. Bien que Antony Hewish ait reçu le prix Nobel en 1974 pour cette découverte, Jocelyn Bell Burnell, qui a joué un rôle central, n'a pas été incluse, ce qui a suscité de vives critiques. Elle a finalement continué à avoir une carrière brillante et a défendu l'égalité dans les sciences, recevant de nombreuses distinctions, notamment le prix Breakthrough Prize en 2018.
Lise Meitner
Lise Meitner (1878-1968) était une physicienne autrichienne d'origine juive, connue pour sa contribution essentielle à la découverte de la fission nucléaire. En collaboration avec Otto Hahn, elle a interprété les résultats expérimentaux montrant la division du noyau atomique, une découverte fondamentale qui a conduit à la compréhension de l'énergie nucléaire. Elle a été injustement ignorée au prix Nobel, alors que son collègue l'a reçu en 1944. Malgré les obstacles auxquels elle a été confrontée en raison de son genre et de ses origines, elle a fini par recevoir une certaine reconnaissance.
Ada Lovelace
Ada Lovelace (1815-1852) était une mathématicienne et écrivaine britannique, surtout connue pour son travail sur la machine analytique de Charles Babbage, un précurseur de l'ordinateur moderne. Elle a été la première à comprendre que la machine de Babbage pouvait être utilisée pour effectuer des calculs généraux et pas seulement des calculs numériques. Elle est considérée comme la première programmeuse informatique grâce à ses notes détaillées sur le fonctionnement de cette machine, y compris un algorithme pour calculer les nombres de Bernoulli. Ses contributions sont restées méconnues, ce milieu n'accordant que peu d'importance aux travaux féminins à l'époque.
Katherine Johnson
Katherine Johnson (1918-2020) était une mathématicienne et physicienne américaine, pionnière dans le domaine des sciences spatiales. Elle a travaillé pour la NASA pendant plus de 30 ans, où elle a effectué des calculs complexes qui ont été essentiels pour les missions spatiales, notamment le vol spatial de John Glenn en 1962, pour lequel ses calculs de trajectoire ont assuré le succès de la mission. Elle a aussi contribué à la planification des premières missions lunaires. Katherine Johnson a surmonté les obstacles liés à la ségrégation raciale et au sexisme, devenant une figure emblématique de l'égalité des droits. Son travail a été reconnu bien tard, une fois sa carrière achevée, par la médaille présidentielle de la liberté, qu'elle a reçue en 2015, quelques années avant son décès.
Grace Hopper
Grace Hopper (1906-1992) était une informaticienne et contre-amiral de la marine américaine. Elle est surtout connue pour ses contributions majeures au développement des langages de programmation. Dans les années 1950, elle a participé à la création du premier compilateur, un programme qui traduisait le code source en langage machine, facilitant ainsi la programmation. Pourtant, seul John von Neumann a été présenté comme l'initiateur de ce dernier. Elle a également joué un rôle clé dans la création du langage COBOL, qui est encore utilisé dans certaines applications aujourd'hui. Ce n'est qu'en 1983 qu'elle a été lauréate du prix Ada Lovelace, attribué aux personnes qui ont rendu un service extraordinaire à la communauté informatique par le biais de contributions au nom des femmes dans ce domaine.