Guerre du Tigré : guerre civile en Ethiopie depuis 2020
La guerre du Tigré est un conflit armé en Ethiopie débuté en novembre 2020. Ses enjeux trouvent leur explication dans l'opposition des armées tigréennes et gouvernementales.
Résumé de la guerre du Tigré - La guerre du Tigré éclate dans la région du même nom en novembre 2020, au moment du report des élections générales devant mettre en place un nouveau gouvernement. Les forces protigréennes s'opposent au gouvernement d'Abiy Ahmed, sous fond de pacification compliquée des relations éthiopiennes avec le voisin érythréen. Après une première série d'attaques des forces rebelles, l'offensive du gouvernement lui permet dans un premier temps de reprendre la main dans un conflit qui va s'enliser progressivement. Pendant deux ans, des séries de contre-offensives successives figent les positions d'une guerre qui va se solder sur une trêve fragile en novembre 2022, et un désengagement des forces tigréennes début décembre 2022. Dans un pays durement touché par la malnutrition et les pénuries d'eau, cette guerre est marquée par de nombreuses exactions et des accusations de crimes contre l'humanité. Le bilan humanitaire, encore mal défini, est d'ores et déjà très lourd.
Quelles sont les causes de la guerre du Tigré ?
La Constitution de 1994, la quatrième de l'histoire de l'Ethiopie, crée une partition du territoire et de ses 110 millions d'habitants en neuf régions. La particularité de cette constitution repose sur le fait que chacun de ces Etats dispose d'un statut autonome et peut revendiquer sa sécession. Parmi eux, l'Etat du Tigré possède une histoire particulière, car il est situé à la frontière avec l'Erythrée, pays contre lequel l'Ethiopie a mené une guerre sanglante entre 1998 et 2000. Or, la minorité tigréenne (qui représente 6 % des Ethiopiens) est depuis les années 1990 très représentée au sein du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). C'est le nom de la coalition autoritaire de partis politiques, d'abord marxistes-léninistes puis socio-démocrates, au pouvoir dans le pays.
La nomination par le FDRPE d'Abiy Ahmed comme Premier ministre en avril 2018 constitue un tournant dans l'histoire récente de l'Ethiopie. Le début de son mandat est marqué par de nombreuses réformes démocratiques et une normalisation des relations diplomatiques avec l'Erythrée, qui vaudront à Abiy Ahmed le prix Nobel de la paix en 2019. Mais en parallèle, le rapprochement avec l'Erythrée se heurte aux réticences de la communauté tigréenne, reprochant à Ahmed, d'origine Oromo (l'ethnie majoritaire du pays), de marginaliser les Tigréens au sein du FDRPE, rebaptisé Parti de la prospérité en 2019.
Comment débute le conflit en Ethiopie ?
Alors que des élections générales devaient conduire à la formation d'un nouveau gouvernement en août 2020, la Commission électorale éthiopienne, avec le soutien du Parlement, décide de les reporter à 2021. La décision ne passe pas dans la région du Tigré, qui y voit une offensive autoritaire antidémocratique, et décide de maintenir les bureaux de vote ouverts dans la région. Le Front de libération du peuple du Tigré (FLPT), un des rares partis à avoir refusé la coalition à l'origine du Parti de la prospérité, entre alors en rébellion, et lance, le 4 novembre 2020, une offensive contre des bases des Forces de défense nationale dans les villes de Mekele et Dansha. Abiy Ahmed déclare le lendemain l'état d'urgence pour six mois.
Comment s'est déroulée la guerre du Tigré ?
La guerre du Tigré n'est censée être au départ qu'une simple opération militaire de reprise du contrôle de la région. L'offensive du gouvernement marque quelques victoires éclair, reprenant en une semaine des villes stratégiques comme Alamata, Shire, Aksoum ou Tsorona-Zambalessa. Mais le FLPT, qui refuse l'ultimatum lancé par Abiy Ahmed le 22 novembre 2020, parvient à enliser le conflit, malgré la reprise par le gouvernement de Mekele, capitale du Tigré, le 29 novembre. De multiples fronts éclatent dans le Tigré au cours de l'année 2021, notamment au sud-est de la région du côté de Werie Lehe ou Samre. Contrairement à ce que le gouvernement déclarait au début du conflit, les armées du pouvoir central bénéficient de l'appui de forces érythréennes, qui vont se désengager progressivement au cours du printemps 2021.
C'est à cette époque que le FLPT, retranché dans des zones rurales reculées, lance une série de contre-offensives victorieuses, qui conduiront à la capture de Mekele par les forces tigréennes le 28 juin 2021. Ces dernières progressent peu à peu vers la capitale fédérale, malgré le lancement de plusieurs tentatives de cessez-le-feu humanitaires, et sont rejointes début novembre par le Front de libération oromo au sein du Front uni des forces fédéralistes et confédéralistes éthiopiennes, avec pour but de renverser le gouvernement. Ce dernier parvient néanmoins à stopper les assauts des rebelles. Il lance à son tour une contre-offensive en décembre 2021 et reprend la plupart des villes du Tigré en un mois. Le début de l'année 2022 est marqué par un désamorçage complexe du conflit. Le 2 novembre, les deux parties signent un cessez-le-feu à Pretoria en Afrique du Sud, deux ans après le début des hostilités. Un traité de paix fragile est signé le 12 novembre, et, début décembre, plus de 65 % des armées tigréennes se sont désengagées du conflit.
Qui sont les acteurs de la guerre du Tigré ?
La guerre du Tigré débute sur fond de conflit territorial entre le gouvernement du Parti de la prospérité d'Abiy Ahmed, prix Nobel de la paix en 2019, et le FLPT, parti politique et groupe armé qui s'oppose à la politique gouvernementale vis-à-vis du Tigré, mais aussi de l'Erythrée voisine. Très rapidement, d'autres acteurs intérieurs et extérieurs viennent se greffer sur le conflit. Dans le courant de l'année 2020, huit autres groupes armés, dont l'Armée de libération oromo (ALO), rejoignent le FLPT pour former le Front uni des forces fédéralistes et confédéralistes éthiopiennes (FUFFCE), une coalition visant à renverser le gouvernement. Du fait de la normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays, le gouvernement éthiopien bénéficie d'un appui militaire de son voisin érythréen, qui envoie environ 43 000 hommes pour épauler les 140 000 hommes des armées gouvernementales. En face, les estimations sont plus complexes à tenir, les forces du FUFFCE oscillant entre 100 000 et 250 000 soldats.
Qui est le vainqueur de la guerre du Tigré ?
Le traité de paix signé en novembre 2022 ne consacre pas véritablement de vainqueur, ni même la fin des tensions dans un conflit encore en cours. Le cessez-le-feu décrété entre les deux camps repose sur des considérations humanitaires, dans une région gravement frappée par des pénuries d'eau et de nourriture. Le 6 décembre 2022, la capitale du Tigré, Mekele, est raccordée au réseau électrique national après plus d'un an de coupure. Mais dans le même temps, des rapports d'exactions continuent de provenir sur place, certaines zones de conflit s'étant notamment redirigées vers l'Etat de l'Oromia, sous l'impulsion de l'ALO.
Quelles sont les conséquences de la guerre du Tigré ?
Dès les premiers jours de la guerre, les Nations Unies s'inquiètent de possibles crimes de guerre visant les populations. C'est notamment le cas du massacre de Maï-Kadra, une ville à la frontière entre l'Ethiopie et le Soudan : dans la nuit du 9 au 10 novembre 2020, environ 600 habitants sont massacrés à coups de bâton, de couteaux et de machettes avant d'être entassés dans des fosses communes. De nombreux rapports d'observateurs de l'ONU évoquent des cas d'exécutions sommaires, de pillages, de crimes et de viols de la part des armées tigréennes dans des villes comme Kobo et Chenna. Les deux camps sont également accusés d'obstruction généralisée de l'aide humanitaire, laissant une région en proie à une sévère malnutrition.
Le bilan humain du conflit est encore compliqué à tenir, et sujet à de vives contestations. Plus de 3 000 soldats fédéraux et 5 600 soldats des armées rebelles seraient morts au combat, tandis que les pertes civiles pourraient s'élever à plus de 50 000 morts. La guerre du Tigré aurait conduit à la disparition de 20 000 personnes, à l'exode de 61 000 réfugiés, et au déplacement de 2,1 millions d'Ethiopiens. Enfin, entre 300 000 et 500 000 habitants seraient morts de malnutrition et de famine, en raison de cette guerre.