Accords de Matignon : les avancées sociales de 1936
Les accords de Matignon, signés en 1936 sous le gouvernement Blum dans un contexte de grèves de masse, garantissent aux salariés français la liberté syndicale ainsi qu'une augmentation des salaires.
Résumé des accords de Matignon - Les accords de Matignon ont été ratifiés dans la nuit du 7 au 8 juin 1936, à l'hôtel de Matignon. Signés sous la gouvernance de Léon Blum, alors président du Conseil du Front populaire, ces accords s'attachent principalement aux relations collectives dans le monde du travail et visent à redéfinir les principes du rapport salarié employeur. Le texte, qui porte notamment sur les salaires et la liberté syndicale, est signé entre le patronat, la Confédération Générale du Travail (CGT), et l'Etat. Il est promulgué alors que la grève, suscitée par la victoire du Front populaire aux élections législatives, bat son plein.
Pourquoi les accords de Matignon sont-ils signés ?
Les accords de Matignon sont signés dans un contexte bien particulier de grèves de grande ampleur sur tout le territoire français. Les revendications des salariés n'ont jamais été aussi fortes, dans un environnement professionnel outrageusement dominé par le patronat. Lors des mois de mai et juin 1936, le Front populaire, une alliance électorale entre les partis de gauche, gagne les élections législatives françaises. S'ensuit immédiatement un mouvement social de masse qui conduit de nombreux salariés à faire grève, un peu partout en France. Les locaux des entreprises sont occupés, au grand dam du patronat. Le Front populaire n'a pas d'autre choix que de répondre favorablement aux revendications de ses électeurs par des réformes aux allures d'avancées sociales, significatives pour l'époque. Si le patronat français voit d'un mauvais œil les revendications du monde du travail, c'est parce que les locaux des entreprises sont alors occupés par une pléthore de salariés, déterminés à faire changer les choses. Le Front populaire est alors du côté des salariés travailleurs. Ces derniers militent pour un équilibre plus juste du rapport salarié patronat, davantage de droits sociaux ainsi que des mesures coercitives et dissuasives à l'égard des chefs d'entreprises. Ceux-ci étaient considérés comme omnipotents et libres d'agir comme bon leur semble avec leurs salariés. Le gouvernement Blum, qui avait fait campagne sur des hausses de salaires et de nouveaux droits accordés aux salariés, a du pain sur la planche.
Où sont signés les accords de Matignon ?
Les accords de Matignon ont été signés dans la nuit du 7 au 8 juin 1936, dans la résidence officielle du chef du gouvernement français depuis 1935, l'hôtel de Matignon. Cet hôtel particulier, situé rue de Varenne, dans le septième arrondissement de Paris, a notamment eu Talleyrand pour propriétaire en 1807. C'est l'Etat français qui se porte acquéreur de l'hôtel Matignon lors de l'année 1922, mais ce n'est que bien des années plus tard, qu'il deviendra la résidence du chef du gouvernement. L'ancien président de la République Gaston Doumergue (1924-1931) songe même, à l'époque, à transformer l'hôtel en musée ou en résidence d'habitation pour les particuliers !
Qui a signé les accords de Matignon en 1936 ?
Des représentants du salariat, du patronat et de l'Etat, sont présents pour la signature d'un accord historique entre les trois partis. Le président du Conseil fraîchement élu, Léon Blum, socialiste invétéré, représente l'Etat et le nouveau parti politique alors au pouvoir, le Front populaire. Fondé en 1934 et élu deux ans plus tard, le Front populaire est une union de tous les partis de gauche que sont le parti socialiste SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière), le parti radical et le parti communiste. Unis autour d'un programme fédérateur et pacifiste ("le pain, la paix, la liberté"), les membres du Front populaire cherchent avant tout à réenclencher la croissance et à rassurer des Français minés par une succession de crises économiques causées par le krach boursier de 1929. Outre Léon Blum, l'Etat est représenté par différents ministres et sous-secrétaires d'Etat lors de la signature des accords de Matignon :
- le ministre de l'Intérieur Roger Salengro,
- le ministre du Travail Jean-Baptiste Lebas,
- le sous-secrétaire d'Etat Marx Dormoy,
- le sous-secrétaire d'Etat Jules Moch.
Le patronat est quant à lui représenté par quatre délégués patronaux de la CGPF (Confédération Générale de la Production Française) :
- Ernest Dalbouze,
- René-Paul Duchemin,
- Alexandre Lambert-Ribot,
- Pierre Richemond.
Enfin, les travailleurs salariés sont défendus et représentés par la CGT, la Confédération Générale du Travail, et ses six délégués syndicaux :
- René Belin,
- Henri Cordier,
- Benoît Frachon,
- Léon Jouhaux,
- Pierre Milan,
- Raymond Semat.
La CFTC (Confédération Française des Travailleurs Chrétiens) ne sera pas représentée lors de cette réunion, ce qui n'empêchera pas les trois partis, alors présents, de parvenir à un accord largement en faveur du salariat. L'avènement du Front populaire à la tête du gouvernement français est une seconde raison de faire la moue pour ceux qui, jusqu'à présent, dirigeaient leurs entreprises en petits chefs. Désormais, le monde du travail pourra faire entendre sa voix, et les salariés pourront librement jouir de certains droits sans craindre d'éventuelles représailles de la part de leurs supérieurs hiérarchiques.
Que contiennent les sept articles des accords de Matignon ?
Les accords sont regroupés en sept articles détaillés ci-dessous :
- Article premier : le patronat est d'accord pour établir des contrats de travail collectifs de façon immédiate. Ces contrats de travail collectifs, précisés dans la loi du 24 juin 1936, sont ce que nous connaissons aujourd'hui sous l'appellation "conventions collectives".
- Article deux : les contrats de travail collectifs doivent obligatoirement tenir compte des articles trois à cinq précisés ci-dessous.
- Article trois : cet article porte sur la liberté syndicale à proprement parler. Les employeurs reconnaissent la liberté d'opinion du salarié, ainsi que le droit pour chaque salarié d'appartenir à un syndicat professionnel (d'après le livre III du Code du travail). Un salarié doit pouvoir adhérer à un syndicat en toute liberté, sans craindre d'éventuelles représailles de la part de l'entreprise en ce qui concerne la suite de sa carrière : embauche, licenciement et répartition du travail.
- Article quatre : les salaires en France vont être revus à la hausse pour relancer la croissance. Les salaires des ouvriers seront augmentés de 15 % pour les salaires les plus bas et jusqu'à 7 % pour les salaires les plus élevés. Le total des salaires d'une entreprise ne pourra pas être rehaussé de plus de 12 %.
- Article cinq : dans les entreprises de plus de dix salariés, il y aura désormais des délégués syndicaux, directement élus par le personnel. Ces délégués du personnel seront chargés de défendre les intérêts individuels et collectifs des salariés vis-à-vis de la direction de l'entreprise.
- Article six : le patronat s'engage à ne sanctionner aucun salarié gréviste.
- Article sept : une fois les accords de Matignon signés, les salariés en grève devront reprendre le travail.
Quelles avancées sociales permettent les accords de Matignon ?
Outre les conventions collectives, qui vont permettre au salariat de bénéficier de conditions de travail beaucoup plus avantageuses, les hausses de salaire ainsi que la liberté syndicale vont contribuer à une amélioration de la qualité de vie et du pouvoir d'achat de la classe ouvrière. La poussée sociale ne s'arrêtera pas là : les 17 et 18 juin 1936, le Front populaire votera la loi des congés payés, qui permettra aux Français d'avoir droit à deux semaines de vacances par an. Avant cette loi, les Français ne prenaient que peu de congés qui n'étaient généralement pas payés. Le 21 juin de la même année, la semaine de travail passera à 40 heures (contre 48 auparavant). Les 40 heures seront payées 48 pour ne pas détériorer le pouvoir d'achat du salarié consommateur.
Quelles sont les conséquences des accords de Matignon ?
La signature des accords de Matignon ne mettra pas tout de suite fin aux grèves, notamment chez les paysans, qui se considèrent lésés dans cet accord. La reprise du travail est progressive dans les différentes industries. Maurice Thorez, président du Parti communiste français, aura d'ailleurs cette phrase : "Il faut savoir terminer une grève dès que satisfaction a été obtenue". Par ailleurs, les avancées sociales se concrétisent par un départ massif des Français vers des destinations de vacances un peu partout sur le territoire. Les premiers départs en vacances ont lieu à l'été 1936, et quelque 600 000 salariés profitent de leurs congés, loin de chez eux. Il y en aura trois fois plus en 1937 ! La réduction du prix des billets de train tend à accélérer la cadence, et les Français partent à la mer, à la montagne ou encore à la campagne. On part rendre visite à un proche, ou l'on reste chez soi pour se reposer et profiter d'une pause bien méritée dans sa routine professionnelle. Les congés, jusqu'ici réservés aux classes aisées, sont désormais l'apanage de tous. Jeunes, ouvriers, étudiants, tout le monde peut partir. Certains ne cachent pas leur stupéfaction de pouvoir partir s'amuser et se reposer tout en étant payés par leur patron. Sur le plan du chômage, la loi sur les allocations chômage est signée en août 1936. L'Etat aura également recours à la nationalisation dans l'industrie de l'armement pour endiguer une course à l'armement possiblement néfaste après la Première Guerre mondiale… Ce qui n'empêchera pas la Seconde Guerre mondiale d'éclater quelques années plus tard, le 1er septembre 1939.
Les dates clés des accords de Matignon
- 4 juin 1936 - Léon Blum au pouvoir
- Le socialiste Léon Blum, alors chef de file du parti socialiste (SFIO), devient président du Conseil dans le sillage de la victoire du Front populaire aux élections législatives de mai-juin 1936 en France.
- 7 juin 1936 - Signature des accords de Matignon
- La signature des accords de Matignon est officialisée le 7 juin 1936. Ces derniers mettent en accord l'Etat, emmené par son chef du gouvernement provisoire Léon Blum, et les syndicats. Ceux-ci permettent aux salariés français d'obtenir une augmentation de salaire automatique, des délégués syndicaux, ainsi que la semaine de 40 heures et 15 jours de congés payés. Le Front populaire a permis d'instaurer des conventions collectives par branche comme norme de négociations salariales.
- 7 juin 1936 - Congés payés et semaine de 40 heures
- Quelques jours après les accords de Matignon, signés dans la nuit du 7 au 8 juin, le Front populaire vote la loi sur les congés payés (deux semaines) ainsi que la semaine de 40 heures pour chaque salarié français.