Khmers rouges : génocide, histoire du Cambodge communiste
De 1975 à 1979, les Khmers rouges instaurent une dictature communiste au Cambodge. Coupables d'un génocide sur plusieurs minorités, ils ne voient leur procès s'ouvrir qu'à la fin des années 2000.
Résumé de la période Khmers rouges au Cambodge - Pendant la guerre d’Indochine, un mouvement révolutionnaire sous tutelle du Parti communiste vietnamien se développe au Cambodge : le Parti révolutionnaire du peuple khmer. Ses membres sont appelés les Khmers rouges. A son indépendance en 1953, le Cambodge est dirigé par Norodom Sihanouk. Chassé du pouvoir en 1970, ce dernier s’allie aux Khmers rouges pour reprendre le contrôle du pays. Soutenus par la Chine, les Khmers rouges entrent dans Phnom Penh en avril 1975 et mettent en place une dictature d’inspiration communiste, particulièrement brutale. Alors que la population perd toute liberté, certaines communautés sont victimes de massacres qui s’apparentent à un génocide. En 1979, le Viêt Nam entre en guerre contre le Kampuchéa démocratique des Khmers rouges et met fin à leur régime. Après des années de guérilla contre le nouveau pouvoir en place, plusieurs dirigeants khmers rouges, accusés de crimes contre l’humanité, sont arrêtés et jugés. Leurs procès s’ouvrent à la fin des années 2000.
Qui sont les Khmers rouges ?
Les Khmers rouges sont les membres d’un mouvement communiste ultranationaliste d’inspiration maoïste, dont les origines remontent à la guerre d’Indochine et qui a pris le pouvoir au Cambodge de 1975 à 1979. De 1946 à 1954, la France est en guerre contre les indépendantistes d’Indochine, en particulier le Việt Minh, issu du Parti communiste vietnamien. Au Cambodge, qui fait partie de l’Indochine française, des groupes indépendantistes se développent, comme les Khmers Issarak. Ce mouvement regroupe aussi bien des militants de droite que de gauche. La mouvance communiste des Khmers Issarak, dirigée par Sơn Ngọc Minh, est une branche du Parti communiste vietnamien. En 1950, les dirigeants de ce parti décident la création d’une structure distincte au Cambodge : le Parti révolutionnaire du peuple khmer (PRPK), dont Sơn Ngọc Minh prend la tête. Le but du PRPK est alors de recruter des paysans pour préparer une révolution, de former des élites et de mener une guérilla contre la France. En 1953, des étudiants cambodgiens comme Saloth Sâr (futur Pol Pot) reviennent de France, où ils ont épousé les thèses du Parti communiste français, et rejoignent les Khmers Issarak. La même année, la France reconnaît l’indépendance du Cambodge. Le roi du Cambodge, Norodom Sihanouk, prend la tête du pays et met en place une monarchie constitutionnelle. Il combat alors les communistes, qu’il baptise "Khmers rouges". Sous l’impulsion de Saloth Sâr et d’autres anciens étudiants, les Khmers rouges prônent la lutte armée pour prendre le pouvoir au Cambodge. Ils y parviennent en 1975.
Pourquoi les Khmers rouges sont-ils arrivés au pouvoir ?
En 1960, le Parti révolutionnaire du peuple khmer (PRPK) est rebaptisé "Parti ouvrier du Kampuchéa" (PCK), avec à sa tête Tou Samouth, Nuon Chea, Saloth Sâr (Pol Pot) et Ieng Sary. Les membres de ces mouvements sont surnommés "Khmers rouges" par le dirigeant Norodom Sihanouk. Ne parvenant pas à prendre le pouvoir par les voies légales, les Khmers rouges prennent le maquis et se forment auprès du Việt Minh, alors en guerre contre les Etats-Unis. En 1967, une insurrection paysanne éclate contre le gouvernement du Premier ministre Lon Nol, ce qui marque le début de la guerre civile cambodgienne. Les Khmers rouges en profitent pour lancer des opérations de guérilla. En 1970, Lon Nol renverse Norodom Sihanouk avec l’aide des Américains. Sihanouk décide alors de s’allier avec les Khmers rouges, ses anciens ennemis, pour reprendre le pouvoir. La répression exercée par Lon Nol incite toujours plus de Cambodgiens à rejoindre la guérilla. Soutenus par la Chine, les Khmers rouges finissent par repousser les troupes de la République khmère. Ils prennent Phnom Penh en avril 1975 et accèdent au pouvoir. Ils y resteront jusqu’en 1979. Durant cette période, le Cambodge prend le nom de "Kampuchéa démocratique".
Comment s’est déroulé le génocide du Cambodge ?
Dans les mois qui suivent la prise de Phnom Penh, les Khmers rouges procèdent à des déportations et des purges au sein de la population cambodgienne. Les partisans de Lon Nol (soldats, dirigeants de la République khmère, soutiens présumés) et les individus aisés ("riches") sont exécutés. Certaines élites, rentrées au Cambodge après la révolution (intellectuels, professions libérales), sont considérées comme suspectes et envoyées en camp de travail. Les citadins sont déportés vers les campagnes, où ils intègrent des coopératives pour être rééduqués. Les paysans sont aussi victimes du nouveau régime, avec la collectivisation de leurs terres, l’abandon de la religion et des structures familiales. Les Khmers rouges fondent une nouvelle société dans laquelle toute activité ou tout déplacement fait l’objet d’un contrôle. La propriété privée est abolie. Les structures sociales sont détruites : les familles sont souvent séparées, et l’autorité des parents sur leurs enfants ou des hommes sur leurs épouses est abolie. L’intimité est très restreinte. Il est interdit de montrer des signes d’affection, d’avoir des relations hors mariage, ou encore de montrer des signes de colère sous peine de mort. Les Khmers rouges exercent aussi des persécutions raciales et religieuses, en particulier contre les Chams, une ethnie musulmane, les catholiques et les minorités vietnamiennes (Khmers Krom), chinoises ou thaïes. Certains membres du clergé bouddhiste sont exécutés, les autres sont envoyés en camp de travail. Les sanctions et les exécutions sont arbitraires, le régime khmer rouge ne disposant d’aucun système judiciaire.
Les Khmers rouges ont-ils réalisé des actes de torture ?
Il est difficile de donner avec précision le nombre de victimes sous le régime des Khmers rouges. Selon le programme d’étude sur le génocide cambodgien de l’université Yale, ce nombre atteindrait 1,7 million, soit 21% de la population du Cambodge. D’autres sources estiment que le nombre de morts s’élève à plus de 3 millions, ce qui signifierait la disparition de plus d’un quart de la population cambodgienne. De 1975 à 1979, les Khmers rouges se sont livrés à des actes de torture dans des temples et des écoles aménagés en "centres de rééducation". Un article de France Info relate des faits de cannibalisme et un second article rapporte des actes de décapitation. Les victimes étaient souvent arrêtées sous des prétextes fallacieux ou pour des raisons futiles. La famine, les marches forcées, le paludisme et l’absence de soins médicaux ont causé des milliers de victimes. Certaines communautés ont été victimes de massacres systématiques. Selon certaines sources, les Khmers rouges auraient exterminé 50 % des Chams, des Vietnamiens et des Chinois présents au Cambodge. Certains cadres khmers rouges disgraciés figurent aussi parmi les victimes.
Qui a libéré le Cambodge des Khmers rouges ?
Après la victoire vietnamienne sur les Etats-Unis en 1975, les Khmers rouges craignent que le Viêt Nam domine toute la région. Par ailleurs, ils ont des vues sur la Cochinchine, territoire vietnamien qu’ils considèrent comme le berceau de leur ethnie. De son côté, le Viêt Nam, soutenu par l’URSS, ne voit pas d’un bon œil le rapprochement du Kampuchéa démocratique avec la Chine, dans un contexte de tensions entre les deux puissances communistes. Dès 1975, les Khmers rouges expulsent les Vietnamiens présents au Cambodge puis, en 1977, ils envoient des troupes au Viêt Nam, où ils se livrent à des exactions. A l’été 1977, le Viêt Nam intervient militairement au Cambodge avant de se retirer. En décembre 1978, alors que tous les "sympathisants" vietnamiens sont exterminés par les Khmers rouges, le Viêt Nam envahit le Kampuchéa démocratique avec 170 000 soldats. Les Khmers rouges sont rapidement vaincus. En janvier 1979, le Front uni national pour le salut du Kampuchéa (FUNSK) est installé à la tête du pays, qui prend le nom de République populaire du Kampuchéa.
Comment le Cambodge retrouve-t-il la paix après les Khmers rouges ?
Le 11 janvier 1979, la République populaire du Kampuchéa est proclamée. Pol Pot et sa garde rapprochée fuient dans la jungle. La jeune république, sous tutelle du Viêt Nam, n’est toutefois pas reconnue par les Nations unies. Faute d’intellectuels, d’anciens cadres khmers rouges dissidents sont appelés par les Vietnamiens pour intégrer la nouvelle administration cambodgienne. De plus, le pays est toujours en guerre. Les Khmers rouges, alliés à Sihanouk, se sont regroupés près de la Thaïlande, qui les soutient pour contrer l’influence vietnamienne. Dans les années 1980, ils poursuivent la guérilla contre la République populaire du Kampuchéa. Après la création de l’Etat du Cambodge en 1989, les troupes vietnamiennes évacuent le pays. Les différentes factions signent un cessez-le-feu en juin 1991, puis les accords de Paris en octobre de la même année. Sihanouk devient président du Cambodge, placé sous tutelle de l’ONU. Exclus de la vie politique, les Khmers rouges reprennent la lutte armée, mais disparaissent peu après la mort de Pol Pot, en 1998.
Comment s’est déroulé le procès des Khmers rouges ?
Dès la chute du Kampuchéa démocratique en 1979, les Vietnamiens et leurs alliés cambodgiens ouvrent un procès contre les Khmers rouges pour génocide. Les grands dirigeants comme Pol Pot et Ieng Sary, qui ont fui dans la jungle, sont condamnés à mort par contumace. Néanmoins, ce procès n’est pas reconnu par la communauté internationale. Pol Pot meurt en 1998, échappant ainsi à la justice. En 2001, Norodom Sihanouk annonce la création des Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) pour "juger les crimes commis sous le Kampuchéa démocratique". Il faut attendre 2009 pour voir l’ouverture du premier procès : celui de Kang Kek Ieu, condamné à 30 ans de prison pour crimes contre l’humanité. En 2011 s’ouvre le procès de Nuon Chea (mort en 2019), Khieu Samphân, Ieng Sary (mort en 2013) et Ieng Thirith (morte en 2015). Certaines personnalités, comme Ta Mok, meurent avant d’avoir pu être jugées pour leurs crimes de guerre. Bien d’autres Khmers rouges se sont fondus dans la population échappant ainsi à la justice.
Les dates clés du mouvement des Khmers rouges
- 18 mars 1970 — Coup d’Etat au Cambodge
- Avec l’aide du prince Sisowath Sirik Matak et probablement des Etats-Unis, le Premier ministre du Cambodge Lon Nol chasse Norodom Sihanouk du pouvoir. Ce dernier s’allie aux Khmers rouges pour reprendre la tête du pays.
- 17 avril 1975 — La chute de Phnom Penh
- Grâce au soutien de la Chine, les Khmers rouges prennent la main sur les troupes régulières cambodgiennes. Les Khmers parviennent à entrer dans Phnom Penh, la capitale. La répression commence contre les soutiens de Lon Nol. Le frère de ce dernier, Lon Non, est exécuté.
- 11 janvier 1979 — Pol Pot chassé du pouvoir
- Après avoir mis en déroute les Khmers rouges, l’Armée populaire vietnamienne entre dans Phnom Penh, le 7 janvier 1979. La République populaire du Kampuchéa est instaurée le 11 janvier, ce qui met fin au régime de Pol Pot.
- 15 avril 1998 — Mort de Pol Pot
- Arrêté en juillet 1997 par son rival, Ta Mok, Pol Pot est condamné à la prison à vie. Affaibli par la maladie et assigné à résidence à Anlong Veng, il doit être évacué avant l’arrivée des troupes cambodgiennes, mais il meurt d’une crise cardiaque pendant son transfert.