Commerce triangulaire : esclavage, définition, dates, schéma
Le commerce triangulaire est l'organisation de l'esclavage humain selon un schéma bien défini entre l'Europe, l'Afrique et l'Amérique. Cette traite négrière débute au XVe siècle et se termine au XIXe siècle.
Définition du commerce triangulaire - Le commerce triangulaire est un système qui permet l'esclavage des Noirs à l'échelle mondiale. En effet, son schéma de fonctionnement implique trois continents : des navires chargés de marchandises sont expédiés de l'Europe vers l'Afrique. Là, les négociants les vendent et font le plein d'esclaves noirs avant de faire voile vers l'Amérique, où ils sont vendus tandis que les marchands remplissent leurs cales de produits exotiques tels que le coton, le rhum, le café, le cacao, le sucre… Les navires rentrent enfin en Europe et le cycle recommence. Voir le schéma du commerce triangulaire ci-dessous.
Même si l'esclavage existait avant le commerce triangulaire, cette organisation fait date dans l'histoire par son ampleur et sa logistique. C'est en effet un système bien rodé, qui perdure plusieurs siècles, du XVe au XIXe siècle, avec une intensification au XVIIIe siècle. L'Angleterre, la France et le Portugal sont les trois nations qui en tirent le plus de profits. La définition du commerce triangulaire permet également de comprendre les fondements des colonies européennes installées en Amérique, qui bénéficient, grâce à l'esclavage, d'une main-d'œuvre importante et gratuite.
Quelles sont les causes du commerce triangulaire ?
La principale cause du commerce triangulaire est le besoin en main-d'œuvre robuste. C'est ce qui motive les Portugais du XVe siècle à acheter des Africains noirs. Ces esclaves sont employés au Portugal, mais aussi beaucoup sur les bateaux marchands. Les Portugais sont en effet de grands voyageurs qui commercent à travers le monde. Ces longs voyages entraînent une forte mortalité, les Portugais supportant mal le climat tropical des colonies (Cap-Vert, Sao Tomé, Principe…) contrairement aux Africains. Les Espagnols emboîtent le pas aux Portugais, pour peupler leurs possessions en Amérique et faire travailler les esclaves dans les champs et les mines. En effet, les Indiens disponibles sur place ne résistent pas à ces tâches exténuantes et les Africains se montrent plus robustes. Le phénomène est cependant progressif.
Quelles sont les trois étapes du commerce triangulaire ?
Comme son nom l'indique, le commerce triangulaire se déroule en trois étapes majeures. Dans les ports européens, les négociants font le plein d'armes, de vin, de spiritueux, et de divers objets, souvent de pacotille, appelés verroteries. Ces biens sont échangés en Afrique contre des esclaves noirs. Les bateaux chargés de main-d'œuvre filent vers l'Amérique, où les marchands vendent ces esclaves pour pouvoir acheter des épices, du sucre, du rhum, du tabac ou encore du cacao et du café, qu'ils revendent facilement en Europe car la demande explose. Les négociants peuvent alors recommencer un nouveau cycle d'échanges.
Le schéma du commerce triangulaire
Quand et où s'est déroulé le commerce triangulaire ?
Entre le XVe siècle et le milieu du XVIe siècle, le commerce triangulaire se structure. Les demandes sont encore faibles, l'Espagne et le Portugal sont les principaux fournisseurs d'esclaves qui sont surtout vendus à Hispaniola (République Dominicaine aujourd'hui) en Amérique. Avec l'arrivée des Français et des Anglais sur la côte africaine en 1674, la donne change, car la concurrence est accrue : le prix des esclaves augmente, les sources d'approvisionnement se modifient, et les esclaves sont surtout vendus en Jamaïque, à Saint-Domingue, la Barbade, la Guadeloupe et la Martinique pour augmenter la production de canne à sucre. Le XVIIIe siècle représente la période de grand essor du commerce triangulaire. Liverpool en Angleterre, Nantes ou Bordeaux en France sont alors de grands ports négriers européens, que surclasse encore Rio de Janeiro, premier port mondial. Au XIXe siècle, c'est le déclin : le roi du Danemark et de Norvège interdit l'importation d'esclaves en 1803, la France abolit la traite négrière en 1794 (elle sera réinstaurée par Napoléon en 1802), puis c'est le tour des Britanniques en 1807. Abolition de la traite ne signifie cependant pas abolition de l'esclavage, et la traite se poursuit de manière illégale un peu partout.
Quels ports participaient au commerce triangulaire en France ?
En France, plusieurs ports se démarquent par l'ampleur accordée à la traite négrière : Nantes est nettement le principal port négrier, suivi de La Rochelle, Le Havre-Honfleur puis Bordeaux et Saint-Malo. D'autres sont également concernés, mais dans une moindre mesure, comme Marseille, Dunkerque ou Bayonne. Si la traite négrière est lucrative, ce n'est pas toujours le cas, et certaines compagnies peuvent être déficitaires. Cependant, elle crée de nombreux emplois connexes en encourageant la construction d'armes et de navires, en démultipliant les débouchés de certaines marchandises, ce qui contribue à l'enrichissement rapide de ces ports.
Comment sont traités les esclaves du commerce triangulaire ?
Les Européens commencent par échanger des esclaves noirs dans les terres contre les marchandises qu'ils ont apportées, mais des expéditions militaires sont rapidement organisées en Afrique pour capturer des esclaves manu militari. Des intermédiaires sont même armés afin de faciliter le travail des marchands. Durant le voyage jusqu'aux Amériques, qui peut durer 30 à 80 jours environ selon les ports de départ et d'arrivée, les conditions sont déplorables. Les esclaves sont enchaînés deux par deux. Les hommes sont séparés des femmes et des enfants. La mortalité maximale est atteinte au XVIe siècle avec 22,6 %, puis elle se stabilise autour de 10 % entre 1750 et 1864, pour une moyenne totale de 11,9 %. Arrivés en Amérique, les esclaves sont vendus après une quarantaine, puis coupés de toute racine ou famille durant une période d'acclimatation. Ils reçoivent alors un nouveau nom. Ils travaillent ensuite dans les plantations avec des quotas à respecter et la menace du fouet. Cependant, étant considérés comme un outil de travail rapportant de la richesse, ils ne sont pas systématiquement maltraités par les maîtres. Ces derniers ont d'ailleurs le devoir de les évangéliser. Pour les Français, le code noir promulgué par Louis XIV en 1685 édicte les droits et les devoirs des maîtres et des esclaves.
Combien d'esclaves ont été déportés par le commerce triangulaire ?
Au total, plus de 11 millions d'Africains noirs ont été déportés dans le cadre du commerce triangulaire. Près de 4,8 millions d'entre eux venaient d'Afrique centrale et 2 millions étaient originaires de la baie du Bénin. Ils étaient principalement conduits au Brésil (3,9 millions), dans les Antilles britanniques (2,2 millions) et dans les Antilles françaises (1,1 million). La France déporta près d'un million et demi d'esclaves, loin derrière le Portugal et ses 5 millions, et la Grande-Bretagne et ses 3,1 millions.
Quand et comment prend fin le commerce triangulaire ?
A la fin du XVIIIe siècle, les contestations contre la traite négrière se font de plus en plus fortes. Des esclaves se révoltent dans les colonies. En France, la traite est abolie une première fois en 1794, puis rétablie en 1802 par Napoléon, et à nouveau abolie en 1815 avec le congrès de Vienne. L'esclavage est définitivement interdit en 1848 en France. En Grande-Bretagne, la traite prend fin en 1807, et en 1863 aux Etats-Unis suite à la guerre de Sécession. L'indépendance des pays d'Amérique latine accélère le processus, avec des abolitions au Chili en 1823, à Cuba en 1886, au Brésil en 1888…
Quelles sont les conséquences du commerce triangulaire ?
Après avoir enrichi les Européens pendant plusieurs siècles, la traite négrière va ouvrir la voie de la colonisation. Le commerce triangulaire a aussi modifié la typologie de population des Amériques, où les personnes d'origine africaine sont très présentes dans certains pays. Leur intégration après l'abolition de l'esclavage ne se fait pas sans heurt. La ségrégation raciale aux Etats-Unis en est un exemple. En Afrique, la déportation massive des habitants jeunes et en âge de travailler a empêché le développement économique, a encouragé les combats entre Africains pour se fournir en armes, et les mouvements de population. Après la fin du commerce triangulaire, on constate une régression sociale, économique et politique dans les régions d'Afrique concernées et des interactions plus violentes entre population.
Les dates clés du commerce triangulaire
- 12 octobre 1492 - Christophe Colomb découvre l'Amérique
- Après deux mois de navigation, Christophe Colomb et ses trois caravelles (la Nina, la Pinta et la Santa Maria) touchent terre. Mais ce n'est pas l'Asie que recherchait Colomb : c'est l'île de Guanahani, dans les Bahamas, dont il prend possession au nom du roi et de la reine d'Espagne. Cette date est aujourd'hui le jour de la fête nationale espagnole. La colonisation de ces nouvelles terres entraînera un besoin massif en main-d'œuvre, qui poussera les Européens à aller se fournir en Afrique.
- 12 février 1635 - Création de la Compagnie des îles d'Amérique
- En 1626, les deux marins Pierre Belain d'Esnambuc et de Roissey proposent au roi Louis XIII la création d'une "Compagnie des seigneurs de Saint-Christophe", projet soutenu par le cardinal de Richelieu. Celle-ci sera fondée le 12 juillet 1635 sous le nom de "Compagnie des îles d'Amérique", laquelle aura pour but de développer la présence française et le commerce dans les îles des Caraïbes. En 1649, Charles Houël du Petit Pré achètera la Guadeloupe et Les Saintes. Cette compagnie prospèrera en grande partie grâce au commerce triangulaire et à l'importation d'esclaves dans les plantations de canne à sucre.
- 11 mars 1671 - Fondation de la Compagnie danoise des Indes occidentales.
- Après avoir colonisé les îles Vierges américaines et s'être installés à Saint-Thomas en 1670, les Danois fondent la Compagnie danoise des Indes occidentales. Elle se base sur le commerce triangulaire, échangeant des esclaves venus d'Afrique contre du sucre et de la mélasse. En 1754, c'est le gouvernement danois qui prend les rênes de la compagnie. En 1765, la Compagnie de Guinée est créée, mais des problèmes économiques provoquent sa dissolution en 1776.
- 8 novembre 1673 - Colbert fonde la Compagnie du Sénégal
- C'est sur ordre du roi Louis XIV qu'est fondée la Compagnie du Sénégal par Colbert. Elle cherche à profiter du commerce triangulaire florissant et monopolisé par les Hollandais. Elle est créée en remplacement de la Compagnie des Indes occidentales. Son premier directeur est Jean-Baptiste du Casse. La compagnie se révèle être une ruine financière. Il n'y a plus de monopole, ce qui provoque une augmentation des négriers et une hausse considérable du prix des esclaves africains.
- 23 août 1791 - Révolte des esclaves à Haïti
- Menée par le prêtre vaudou Boukman, la révolte est la première à réussir. L'insurrection commence dans le nord de l'île avant de se répandre. Haïti est une colonie française majeure qui produit sucre et café. Après 13 ans de bataille, les Haïtiens obtiennent leur indépendance en 1804 et forment le premier Etat noir.
- 3 février 1794 - La Convention abolit l'esclavage
- Les révolutionnaires français ne sont pas immédiatement en faveur de l'abolition de l'esclavage. Le texte de loi est rédigé par le député Lacroix d'Eure-et-Loir, et voté au milieu des acclamations. Des représentants de Haïti (alors Saint-Domingue), qui a connu une révolte majeure, sont présents. En 1802, Napoléon autorise à nouveau l'esclavage, qui ne sera véritablement aboli qu'en 1848, par la IIe République.
- 2 mars 1807 - L'Angleterre interdit la traite des noirs
- Les britanniques abolissent le commerce des esclaves noirs entre l'Afrique et l'Amérique. Cette mesure est déjà appliquée au Danemark depuis trois ans. L'Angleterre exhortera toutes les nations européennes à renoncer à la traite. Elle n'hésitera pas à effectuer des visites sur les navires suspectés de transporter des Africains se transportant ainsi en véritables "policiers" des mers. En 1833, elle sera un des premiers pays à abolir définitivement l'esclavage.
- août 1833 - Abolition de l'esclavage dans l'Empire britannique
- En 1833, les partisans de l'abolition de l'esclavage se faisaient de plus en plus entendre en Grande-Bretagne. Le gouvernement reçut plus de 5 000 pétitions réclamant l'abolition, soit plus d'un million et demi de signatures. C'est ainsi qu'en août 1833, l'Empire britannique se résolut à proclamer l'abolition de l'esclavage dans ses colonies. Le parlement vota l'abolition Bill le 8 août, qui fut confirmé par le roi Guillaume IV le 28 août.
- 27 avril 1848 - Abolition de l'esclavage dans les colonies françaises
- L'abolition de l'esclavage a tout d'abord été mise en place durant la Révolution française en 1792 grâce à Henri Grégoire. Sous Napoléon Bonaparte, elle est restaurée. C'est en 1848, lors du gouvernement provisoire de la Deuxième République, que la mesure est définitivement adoptée. Victor Schœlcher, sous-secrétaire du ministre François Arago, est en grande partie responsable de l'adoption du décret d'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, le 27 avril 1848.
- 22 septembre 1862 - Lincoln proclame l'émancipation des esclaves du Sud
- Au lendemain de la victoire nordiste d'Antietam, le président américain prononce la proclamation d'émancipation des esclaves noirs dans les Etats du Sud. Il ne s'agit pas d'interdire tout à fait l'esclavage : les esclaves sont proclamés libres dans les Etats encore en rébellion (et sans aucune indemnité pour les maîtres), mais pas dans les Etats intermédiaires (d'obédience nordiste, mais en faveur de l'esclavage), qui bénéficient de compensations et où l'émancipation est plus progressive. Lincoln la fixe au 1er janvier 1863.
- 31 janvier 1865 - Abolition de l'esclavage aux Etats-Unis
- C'est à cette date que la Constitution se voit enrichie d'un 13e amendement adopté par le Congrès. Il stipule la fin officielle et définitive de l'esclavage. Trois ans plus tôt, Lincoln avait déjà émancipé les esclaves américains et, à ce titre, gagné le surnom de "Grand Emancipateur". Un engagement qui lui vaudra d'être assassiné en 1865, juste après avoir été réélu, par un sympathisant de la cause confédérée.