Le génocide arménien : déroulé et reconstruction d'un peuple

Le génocide arménien : déroulé et reconstruction d'un peuple De 1915 à 1923, l'Empire ottoman, aujourd'hui la Turquie, a organisé les massacres et les déportations de la population arménienne. Résumé du génocide arménien.

Résumé : À la fin du XIXe siècle, les Arméniens vivant dans l'Empire ottoman (actuelle Turquie) sont victimes de persécutions. Des mouvements arméniens se mettent en place pour demander plus de liberté, de sécurité, voire la création d'un État arménien. Ces révoltes sont durement réprimées dès 1894, causant des milliers de victimes. Après la chute du sultan Abdülhamid II et l'arrivée au pouvoir des Jeunes-Turcs en 1908, la situation ne s'améliore guère pour les minorités.

Les Arméniens sont désormais considérés comme un obstacle aux projets ultranationalistes des Jeunes-Turcs. Les massacres commencent dès 1909, avant de devenir systématiques en 1915. Alors que l'Empire s'engage dans la Première Guerre mondiale, les autorités ottomanes décident d'éliminer les élites, puis planifient l'extermination de la population arménienne. Exécutions de masse, déportations vers des camps, marches de la mort, famines… En résumé, le génocide, perpétré par l'armée ottomane et l'Organisation spéciale entre le printemps 1915 et l'automne 1916 provoque la mort d'environ 1,2 million de personnes.   

Quelles sont les causes du génocide arménien de 1915 ?

Génocide arménien
Première page, un soldat arménien au combat, durant la Grande Guerre (1919). © SIPA

Avant 1915, 1,5 à 2,5 millions d'Arméniens, de confession chrétienne, vivent au sein de l'Empire ottoman, principalement à l'est de la Turquie actuelle. Persécutés par les Kurdes et les Circassiens, ils ne disposent pas des mêmes droits que les musulmans. D'autre part, ils sont frappés d'une double imposition. Dans les années 1880, les Arméniens créent des mouvements révolutionnaires. Ils demandent plus de sécurité contre les pillages, mais aussi l'égalité entre Arméniens et musulmans. Néanmoins, le sultan Abdülhamid II reste sourd à ces revendications.

En 1894 éclate la révolte du Sassoun : les Arméniens refusent la double imposition et s'arment contre les tribus kurdes, mais ils sont durement réprimés. Des massacres et pogroms sont perpétrés jusqu'en 1897, faisant entre 200 000 et 250 000 victimes. Ces tueries sont connues sous le nom de "massacres hamidiens", en référence au nom du sultan.

En 1908, le sultan Abdülhamid II est renversé par le Comité Union et Progrès (CUP), dont les membres sont appelés "Jeunes-Turcs". Ce mouvement s'allie avec les minorités, notamment les Arméniens, pour arriver au pouvoir. Néanmoins, les Arméniens souhaitent un État indépendant, ce que le CUP refuse catégoriquement. Les Arméniens rompent avec les Jeunes-Turcs, qui deviennent un mouvement ultranationaliste et violent. Le CUP encourage alors des massacres d'Arméniens dès 1909. Pendant la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman est en guerre contre la Russie. Le pouvoir ottoman accuse les Arméniens de pactiser avec les Russes, justifiant les massacres dès 1915.

Qui sont les responsables de ce génocide ?

Les massacres ayant eu lieu avant le génocide, de 1894 à 1897, sont perpétrés essentiellement par des régiments de cavalerie kurde, les Hamidiés.

Les responsables du génocide arménien sont tout d'abord les autorités ottomanes, c'est-à-dire les "Jeunes-Turcs" ou "Ittihad". Pour ce mouvement ultranationaliste, les Arméniens sont un obstacle à la "turquification" de l'Anatolie, et doivent être éliminés. Les "Jeunes-Turcs" encouragent alors le massacre des populations arméniennes. Les tueries sont perpétrées par l'armée ottomane et par l'Organisation spéciale. Cette dernière, créée en 1914, est surtout composée de prisonniers de droit commun, libérés spécialement pour exterminer les Arméniens.

Comment le génocide arménien s'est-il déroulé ? 

Durant la Première Guerre mondiale, le pouvoir ottoman accuse les Arméniens de collaborer avec la Russie. Il s'agit d'un prétexte pour éliminer la population arménienne. Dès février 1915, les soldats arméniens de l'armée ottomane sont désarmés puis écartés de l'armée, avant d'être éliminés. Le 24 avril 1915, les autorités font arrêter, puis exécuter 235 à 270 intellectuels arméniens, dont certains députés au Parlement ottoman. Les jours suivants, environ 2 350 notables arméniens sont arrêtés, déportés, puis exécutés. Dans les villages, les notables sont torturés, puis exécutés. La population est déportée en convois, puis massacrée, tandis que les femmes les plus belles sont vendues comme esclaves.

Dans une deuxième phase du génocide, l'Organisation spéciale est envoyée pour exterminer les convois. Les Arméniens sont envoyés aux confins de l'Empire ottoman, au sud et à l'est, pour être regroupés dans des camps, où ils meurent de faim et sont massacrés par petits groupes. Les miliciens organisent aussi des marches de la mort, ou marches forcées dans le désert, durant lesquelles les déportés meurent de soif ou sont exécutés.

Quel est le nombre de morts ?

Génocide arménien
Monument en hommage aux arméniens victimes du génocide de 1915, Paris (8eme) © ELVEREN/SIPA

Le nombre de victimes du génocide arménien est sujet à controverse. Les autorités ottomanes font état de 800 000 morts alors que l'État arménien dénombre 1,5 million de morts. Les historiens occidentaux retiennent 1,2 million de morts. Il ne faut pas oublier que d'autres populations ont été massacrées durant ce génocide, comme les Assyriens (750 000 morts), les Grecs pontiques (350 000 morts) ou encore les Yézidis (500 000 morts). Avant le génocide, 1,5 à 2,5 millions d'Arméniens vivaient dans l'Empire ottoman.

Quelles sont les conséquences du génocide arménien ?

Au lendemain du génocide, les Arméniens ne sont plus que 100 000 à 200 000 dans l'Empire ottoman. Certains trouvent refuge en Arménie russe, en Perse, en Syrie et au Liban. D'autres fuient vers la France, les États-Unis et l'Amérique latine. On parle de diaspora arménienne, lorsque les Arméniens ne vivent plus sur leurs terres. Les autorités turques récupèrent l'épargne bancaire ainsi que certains biens immobiliers des victimes. Des milliers d'églises, des centaines de monastères et d'écoles sont détruits. Les dommages sont estimés entre 50 et 104 milliards de dollars.

En 1919 se tiennent les Cours martiales turques de 1919-1920, qui jugent les instigateurs du génocide arménien. Sept responsables du CUP sont condamnés à mort, trois sont exécutés. Les autres ont réussi à s'échapper, mais certains sont assassinés à l'étranger par les Arméniens de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA).

Quelle est la reconnaissance de ce génocide dans le monde ?

Le génocide arménien est officiellement reconnu par les pays suivants (par ordre de reconnaissance) :
  • Uruguay ;
  • Chypre ;
  • États-Unis ;
  • Russie ;
  • Grèce ;
  • Belgique ;
  • Suède ;
  • Liban ;
  • Vatican ;
  • France ; 
  • Suisse ; 
  • Argentine ;
  • Arménie ;
  • Italie ;
  • Pays-Bas ;
  • Slovaquie ;
  • Canada ;
  • Pologne ;
  • Lituanie ;
  • Venezuela ;
  • Chili ;
  • Brésil ;
  • Paraguay ;
  • Bolivie ;
  • République tchèque ;
  • Autriche ;
  • Luxembourg ;
  • Syrie ;
  • Bulgarie ;
  • Allemagne.
Génocide arménien
Jean Jaurès (1859-1914). © SIPA

La Turquie et l'Azerbaïdjan nient catégoriquement le génocide arménien. D'autres pays, comme le Royaume-Uni et Israël, ne reconnaissent pas les massacres comme un génocide. L'Arménie encourage la reconnaissance de ce génocide, et soutient les lobbys arméniens allant dans ce sens à travers le monde. En France, Jean Jaurès et Anatole France jouent un rôle important dans la reconnaissance du génocide. Jean Jaurès met notamment en exergue l'indifférence du gouvernement français, tandis qu'Anatole France prononce un discours en hommage aux victimes, en avril 1916. 

Quelle est la responsabilité de la Turquie dans le génocide arménien ?

Génocide arménien
Banderole avec en arrière-plan l'église Saint Michel. Marche à Bruxelles pour demander à la Turquie de reconnaître le génocide arménien. © SIPA

L'Empire ottoman a disparu en 1923 pour devenir la République de Turquie. Certains responsables du génocide sont devenus ministres de cette jeune république. La Turquie refuse officiellement de reconnaître l'existence d'un génocide arménien. Les personnalités contredisant ou dénonçant la position officielle sont poursuivies en justice. Les autorités turques remettent en question le nombre de victimes ainsi que l'idée de massacres prémédités. Elles estiment par ailleurs que les Arméniens sont responsables de leur sort. Pour la Turquie, reconnaître le génocide impliquerait de payer des dommages et intérêts au peuple arménien, de perdre des territoires, mais aussi d'admettre que la République de Turquie a été fondée par des assassins. En Turquie, l'opinion publique est en faveur de la reconnaissance du génocide. Les mouvements kurdes, mais aussi des journalistes et écrivains turcs dénoncent la position officielle.

Comment le peuple arménien s'est-il reconstruit après le génocide ? 

En 1919, se tient à Constantinople un procès avec les principaux dirigeants de ces massacres. Le traité de Lausanne est signé en juillet 1923, il permet de mettre un terme au génocide. Nombreux seront les Arméniens à témoigner par la suite. En Arménie et dans le Haut-Karabagh, le 24 avril est la journée de commémoration du génocide arménien. Plusieurs monuments commémoratifs ont été construits dans les pays où la diaspora arménienne est présente. Pour le centième anniversaire du génocide, en 2015, les victimes ont été canonisées par le catholicos Garéguine II Nersissian.

les dates clés du génOcide arménien

1894 - Révolte arménienne
Au printemps 1894, la région de Sassun, située à l'ouest du lac de Van, est soumise à la rébellion des Arméniens qui s'opposent à l'impôt ottoman. Le sultan Abdülhamid II, célèbre Sultan rouge ou "grand saigneur", autorise les massacres des populations hamidiennes insurgées. Il s'agit de la première série d'actes criminels commis par l'Empire ottoman contre les Arméniens, crime dénoncé par Jean Jaurès lors d'un discours à la Chambre des députés, en novembre 1896.
24 avril 1915 - Le début du génocide arménien
Le 24 avril 1915, Talaat Pacha, ministre de l'Intérieur de l'Empire ottoman, ordonne l'arrestation des élites arméniennes. Dans la nuit du 24 au 25, 235 à 270 personnes sont arrêtées par la police : députés, avocats, journalistes, enseignants, médecins, ecclésiastiques… Détenus à la prison centrale ou dans des commissariats, ces notables arméniens sont ensuite déportés vers des camps, où ils seront pour la plupart exécutés. C'est le début du génocide arménien, qui se poursuit avec l'extermination de la population.
Mai 1918 - Bataille de Sardarapat
Durant la Première Guerre mondiale, le conflit arméno-turc a provoqué la bataille de Sardarapat, du 24 mai au 26 mai 1918. Deux mois après que l'Empire ottoman et l'Arménie eurent signé le traité de Brest-Litvosk, mettant fin aux oppositions sur le front Est, l'armée ottomane attaque l'Arménie. Cette dernière réussit à vaincre les troupes ottomanes aux portes de Sardarapat, après de multiples échecs lors des batailles de Karakilissé, Sardarabad et Bach Abaran.
4 juin 1918 - Signature des traités de paix de l'Empire ottoman
Durant la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman rejoint l'alliance germanique. Cette dernière, lors de sa défaite, entraîne dans sa chute le pouvoir ottoman. En perte d'influence, l'empire signe à Batoum des traités de paix avec l'Arménie, la Géorgie et l'Azerbaïdjan. Le général Andranik, représentant l'Arménie, refusera un tel accord. Souhaitant l'indépendance de l'Arménie, il campera sur ses positions jusqu'à l'armistice de Moudros. Il tiendra tête aux Ottomans depuis son refuge dans les montagnes.
1920 - La guerre turco-arménienne
La guerre turco-arménienne est un conflit entre la République d'Arménie et les révolutionnaires du mouvement national turc. Elle est déclenchée par la décision, instaurée par le traité de Sèvres, d'attribuer à l'Arménie certaines régions qui appartenaient jusqu'alors à l'Empire ottoman. Le 23 septembre 1920, les Turcs entrent en Arménie et investissent rapidement une grande partie du pays. La guerre se termine avec le traité d'Alexandropol, signé le 2 décembre 1920, et la soviétisation de l'Arménie qui voit, dans la puissance russe, une manière de se protéger des Turcs.
Mars 1920 - Les massacres de Chouchi
Après la Révolution russe, la République démocratique d'Arménie et la République démocratique d'Azerbaïdjan se disputèrent le territoire de Transcaucasie, appelé le Haut-Karabagh. Bien que le gouverneur azéri ait été nommé après la Première Guerre mondiale, la guerre arméno-azérie se poursuivit jusqu'en 1922. Cette guerre fut marquée par les massacres de Chouchi, d'après le nom de la ville où se sont déroulés les pogroms, du 22 au 26 mars 1920. Des milliers d'Arméniens furent tués, et des quartiers arméniens furent entièrement détruits.
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