Bloody Sunday : le dimanche sanglant de 1972 en Irlande
En janvier 1972, l'armée britannique tire sur des manifestants en Irlande suite à de nombreuses tensions. Voici les explications sur cet épisode appelé "Bloody Sunday".
Le résumé du Bloody Sunday de 1972 - Alors que l'Irlande du Nord est séparée du reste de l'Irlande depuis 1920, les tensions montent entre les protestants, majoritaires, et les catholiques. Dans les années 1960, des protestants d'Irlande du Nord forment l'Ulster Volunteer Force (UVF) pour combattre les catholiques. De leur côté, les catholiques créent la Northern Ireland Civil Rights Association (NICRA) et manifestent pacifiquement contre les discriminations dont ils sont victimes. La NICRA est bientôt évincée par l'Irish Republican Army (IRA), qui multiplie les actions violentes contre les loyalistes protestants et l'armée britannique. Le 30 janvier 1972, les soldats britanniques, prétendant riposter à des tirs de l'IRA, ouvrent le feu sur une marche pacifique de la NICRA. Cette tuerie, survenue un dimanche, est depuis surnommée le "Bloody Sunday" pour "dimanche sanglant".
Quelles sont les causes du Bloody Sunday ?
En 1972, l'Irlande est séparée en deux depuis 50 ans : l'Irlande du Nord, à majorité protestante, et l'Irlande du Sud, à majorité catholique. En Irlande du Nord, les tensions entre catholiques et protestants sont très vives. Les droits civiques de la minorité catholique sont bafoués, ce qui pousse les catholiques à créer la Northern Ireland Civil Rights Association (NICRA), qui milite pour une égalité de droits entre catholiques et protestants. Les manifestations pacifiques de la NICRA sont néanmoins réprimées par les factions loyalistes protestantes et la Police royale de l'Ulster. En août 1969, des émeutes dans le quartier du Bogside, bastion des catholiques, font 9 morts et 750 blessés.
La couronne britannique décide alors de déployer l'armée britannique pour rétablir l'ordre. Celle-ci est tout d'abord bien accueillie par les catholiques, mais la mort de deux émeutiers catholiques, tués par des soldats dans des circonstances suspectes, contribue à la rendre impopulaire. Excédés par la répression, de nombreux catholiques finissent par rejoindre les rangs de l'IRA, qui multiplie les attentats contre l'armée britannique. Des bombes explosent et des soldats britanniques sont assassinés. Dans un contexte de plus en plus violent, la NICRA manifeste le dimanche 30 janvier 1972 contre l'internement administratif. En effet, depuis août 1971, les personnes soupçonnées d'appartenir à l'IRA peuvent être emprisonnées sans procès. Toutefois, la manifestation qui se veut pacifique dégénère lorsque les parachutistes britanniques investissent le Bogside.
Comment s'est déroulé le Bloody Sunday ?
Le Bloody Sunday se déroule à Londonderry (aussi appelée Derry), en Irlande du Nord, dans le quartier du Bogside. Depuis les émeutes d'août 1969, ce quartier catholique est organisé en enclave autonome, appelée "Free Derry Corner". Le 30 janvier 1972, la NICRA projette de manifester pacifiquement jusqu'au Guildhall, le siège du conseil de la ville de Derry. Cependant, le cortège de 20 000 personnes est bloqué par les barricades de l'armée et canalisé vers le Bogside. Vers 16 h, de jeunes manifestants provoquent l'armée britannique en lui jetant des pierres. Celle-ci réplique à coups de canons à eau, de tirs de balles en caoutchouc et de gaz lacrymogène. A 16 h 07, les soldats entrent dans le Bogside pour charger et arrêter les émeutiers. Quelques minutes plus tard, ils sont autorisés à tirer à balles réelles sur tous ceux qui représentent une menace.
Combien de morts a causés le Bloody Sunday ?
Le Bloody Sunday a vu la mort de 13 personnes, dont 7 adolescents, abattus par les soldats du 1er bataillon du régiment de parachutistes de l'armée britannique. Un homme est décédé quatre mois et demi plus tard des suites de ses blessures, devenant la quatorzième victime. Quinze autres personnes ont été blessées par des tirs, des débris, ou percutées par des véhicules blindés de l'armée. Les victimes sont des hommes essentiellement jeunes, présents lors de la manifestation de la NICRA contre l'internement sans procès, mis en place pour lutter contre l'IRA. Néanmoins, John Johnston (59 ans) ne faisait pas partie du cortège et a été touché 15 minutes avant le début de la fusillade.
Que s'est-il vraiment passé lors du Bloody Sunday ?
Les soldats britanniques affirment avoir tiré pour répliquer à des tirs de l'IRA, prétendant que certaines victimes étaient armées et hostiles. Une première enquête dirigée par Lord Widgery, réalisée en 10 semaines, confirme la version de l'armée britannique. Cependant, de nombreux témoignages contredisent les affirmations des soldats. En effet, aucune arme n'a été retrouvée sur les corps des victimes et aucun soldat n'a été blessé. D'autre part, certaines victimes ont reçu une balle dans le dos alors qu'elles tentaient de fuir, d'autres ont été abattues alors qu'elles portaient secours à des blessés. De nombreux témoins ainsi que les familles des victimes accusent les enquêteurs de vouloir blanchir l'armée et demandent une enquête impartiale. En 1997, d'anciens soldats britanniques se confient anonymement sur une chaîne de télévision. Ils avouent que certains ont tiré sur des manifestants non hostiles. En 1998, le Premier ministre britannique Tony Blair ordonne une nouvelle enquête. Dirigée par le juge Saville, celle-ci révèle que de nombreux soldats ont menti et ont bel et bien tiré sur des manifestants désarmés. La publication du rapport en 2010 est suivie des excuses de David Cameron au nom du gouvernement britannique.
Quelles chansons font référence à ce dimanche sanglant ?
La violence et l'injustice du Bloody Sunday ont inspiré plusieurs artistes, dont John Lennon, qui a écrit Sunday Bloody Sunday avec Yoko Ono. Sur ce titre, paru en 1972 sur l'album "Some Time in New York City", l'ex-membre des Beatles critique sévèrement l'armée britannique et la présence britannique en Irlande. En 1979, le groupe de punk Stiff Little Fingers, originaire d'Irlande du Nord, évoque aussi l'événement dans sa chanson Bloody Sunday. Mais la chanson la plus célèbre sur cet événement est probablement celle du groupe irlandais U2, sortie en 1983, et intitulée aussi Sunday Bloody Sunday. Sur ce titre, on peut entendre les paroles : "How long, how long must we sing this song?" ("Combien de temps, combien de temps devons-nous chanter cette chanson ?") ou encore "There's many lost, but tell me who has won?" ("Il y a beaucoup de perdus, mais dis-moi qui a gagné ?"). En effet, le groupe ne prend pas parti, mais déplore la violence entre les communautés de par le monde. Le groupe s'est défendu à plusieurs reprises d'avoir écrit une chanson incitant à la rébellion.
Quels sont les hommages au Bloody Sunday ?
En 2002, Bloody Sunday, réalisé par Paul Greengrass, sort au cinéma. Ce film retrace les événements 30 ans après. Dans le quartier du Bogside, où s'est déroulée la tuerie, des artistes ont peint des fresques murales dès les années 1990. Sur Westland Street, on peut voir "The Bloody Sunday Commemoration Mural", une fresque de 1997 qui représente les visages des 14 victimes. Egalement peinte en 1997, la fresque "Bloody Sunday Mural" représente une scène du Bloody Sunday. On peut y voir des manifestants en train d'évacuer une victime. Au 25 Rossville Street se trouve le mémorial de Derry, érigé en 1974. Il s'agit d'un obélisque sur laquelle sont gravés les noms des 14 victimes.
Que s'est-il passé lors du Bloody Sunday de 1920 ?
Un autre événement, surnommé "Bloody Sunday", a eu lieu 52 ans avant le massacre de Bogside. Le 21 novembre 1920, des membres de la police royale irlandaise (Royal Irish Constabulary) tirent sur les spectateurs du stade de Croke Park de Dublin, lors d'un match de football gaélique. Le bilan est de 30 morts (dont un joueur) et 70 blessés. Cette tuerie a lieu en pleine guerre d'indépendance irlandaise (1919-1920), alors que l'IRA mène une guérilla contre les forces britanniques en présence, dont la Royal Irish Constabulary et ses factions auxiliaires. Celle-ci venait d'apprendre l'exécution de nombreux agents britanniques par les nationalistes irlandais sur l'ordre de Michael Collins. Ce massacre a contribué à développer la colère de la population irlandaise envers l'occupation britannique.