Expédition Franklin : un échec en Arctique (1845-1848)
L'expédition Franklin menée par John Franklin est une expédition polaire maritime britannique à la conquête du passage Nord-Ouest de l'océan Arctique. Bloqué par les glaces, tout l'équipage y décède.
Résumé de l'expédition Franklin - L'expédition Franklin est l'occasion, pour les Britanniques, de renouer avec les grandes explorations polaires. Au XIXᵉ siècle, l'enjeu est de parvenir à traverser enfin le passage du Nord-Ouest de l'océan Arctique, entre l'Atlantique et le Pacifique. Sous l'impulsion de John Barrow, l'amirauté de la Royal Navy choisit comme commandant l'officier John Franklin, qui s'est déjà distingué dans plusieurs expéditions arctiques. Mais celle-ci, partie le 19 mai 1845, est prise au piège des glaces à proximité de l'île du Roi-Guillaume. Entre 1846 et 1848, les 129 membres de l'équipage meurent de froid, de maladies ou de faim. Suivent de nombreuses recherches et enquêtes scientifiques tout au long des XIXᵉ, XXᵉ et XXIᵉ siècles pour tenter de comprendre les raisons du désastre. De quoi transformer l'expédition Franklin en mythe.
Qui est à l'origine de l'expédition Franklin ?
En cette première moitié du XIXᵉ siècle, la Royal Navy incarne la domination de la puissance anglaise sur les océans de la planète. Les expéditions diligentées par l'amirauté comptent parmi les événements qui tiennent en haleine l'Europe, le Canada, les Etats-Unis… Depuis le début du XIXᵉ siècle, l'enjeu majeur est de parvenir à traverser enfin le passage du Nord-Ouest de l'océan Arctique, entre l'Atlantique et le Pacifique, la zone comprise entre le détroit de Davis et la baie de Baffin à l'est, et la mer de Beaufort à l'ouest. L'espace relie, au sud-est la baie d'Hudson, et au Nord-Ouest l'océan Arctique. L'impulsion de l'expédition du nord-ouest en 1845 est donnée par John Barrow. Second Secrétaire de l'amirauté depuis 1804, explorateur lui-même, Barrow est un homme d'expérience qui a déjà promu plusieurs expéditions, dont celles de William Edward Parry (1821), John Ross (1829) et James Clark Ross (1839). A 82 ans, c'est lui qui convainc la Royal Navy de se lancer dans celle de l'archipel nord-canadien.
Pour diriger l'expédition, le choix de John Franklin n'est pas immédiat. En cause, l'âge de l'explorateur, 59 ans. Mais William Edward Parry, premier choix de Barrow, décline l'offre, de même que James Clark Ross. A 35 ans, James Fitzjames est réputé trop jeune, il fera néanmoins partie du voyage. George Back est un temps pressenti, mais sans suite. Reste Francis Crozier, qui a participé à six explorations polaires : mis de côté en raison de ses origines irlandaises, il sera néanmoins du voyage et nommé adjoint. C'est finalement sur l'insistance de William Edward Parry que John Franklin, un officier reconnu, ayant participé à plusieurs expéditions et de nombreuses batailles, dont celle de Trafalgar, est contacté à son tour. Cette fois, c'est oui, et ce sera, promet Franklin à son épouse, sa dernière expédition.
Pourquoi l'expédition Franklin a-t-elle été lancée ?
La fin des guerres napoléoniennes permet aux gradés de la marine britannique de se consacrer à la conquête des régions du Nord restant à découvrir. En cette période de paix, l'exploration est un moyen de faire valoir les aptitudes tant humaines que matérielles des grandes puissances occidentales. L'amirauté britannique voit dans l'exploration polaire l'occasion de prendre date après les découvertes notables effectuées dans cette zone aux XVIᵉ, XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, par des voyageurs devenus célèbres, tels que Frobisher, Davis, Hudson, Baffin, Knight, Middleton, Hearne, Cook, Mackenzie ou encore Vancouver. D'autant que dès le début du XIXᵉ siècle, apparaît un enjeu de taille : après plusieurs expériences manquées, on commence à douter de l'existence d'un passage navigable dans les latitudes tempérées au nord de l'archipel canadien.
Plusieurs explorateurs ont sillonné en vain les eaux glacées du Grand-Nord. Giovanni Caboto, connu aussi sous le nom de John Cabot (1450-1498) y mourut. Martin Frobisher (1535-1594) échoua. De même qu'Henry Hudson (1565-1611) et le capitaine James Cook (1728-1779). Plus récemment, l'amiral William Edward Parry (1790-1855) s'y essaya entre 1821 et 1823. L'expédition du contre-amiral John Ross (1877-1956), menée entre 1829 et 1833, permit de découvrir le pôle magnétique tout en démontrant qu'il était possible de survivre dans le Grand-Nord. Enfin, l'officier James Clark Ross (1800-1862) visita plusieurs fois l'Arctique. Aucun ne parvint à traverser le fameux passage du Nord-Ouest.
Qui était John Franklin, le commandant de l'expédition ?
John Franklin est un officier de marine britannique, explorateur, gouverneur et auteur. Il naît le 16 avril 1786 à Spilsby et meurt le 11 juin 1847 sur l'île du Roi-Guillaume. Il n'a que 14 ans lorsqu'il s'engage dans la Royal Navy pour la première fois. La plupart de ses expéditions sont restées célèbres, de même que les batailles navales auxquelles il prend part, comme celle de Copenhague (1801). En 1805, il participe à la bataille de Trafalgar sous les ordres du vice-amiral Nelson, au cours de la tentative manquée de conquête du Royaume-Uni par Napoléon. En 1818, c'est en tant que lieutenant qu'il participe à l'expédition David Buchan, pour tenter de repérer une mer libre de glace au pôle Nord. L'année suivante, il est nommé adjoint pour l'expédition Coppermine, à la découverte de la côte nord du Canada. Il repart en Arctique en 1829, cette fois à la découverte des rives de la mer de Beaufort. En 1823, il épouse la poétesse Eleanor Anne Porden, qui décède en 1825 et dont il a une fille. En 1828, il épouse Jane Griffin, grande voyageuse, pionnière en Tasmanie. John Franklin est fait chevalier par le roi George V (1829) puis chevalier de l'ordre royal des Guelfes par le roi Guillaume IV (1836). Il est enfin nommé gouverneur de l'île de Tasmanie, au large de la côte sud-est de l'Australie (1837-1843).
Quels sont les moyens mis en œuvre pour l'expédition Franklin ?
En ce 19 mai 1845, au point de départ de Greenhithe, ville du Kent sur la Tamise en Angleterre, les moyens mis en œuvre pour réussir l'expédition sont colossaux. Les deux navires, le HMS Erebus, 378 tonnes, et le HMS Terror, 331 tonnes, ont fait plusieurs fois leurs preuves, notamment en Antarctique avec James Clark Ross. Ils sont équipés des dernières techniques de pointe, comme ces renforts de plaques de fer ou ces systèmes de propulsion à hélice à vapeur auxiliaire, spécifiquement créés pour affronter la glace. A bord, on installe un dispositif interne de chauffage à vapeur, une caméra daguerréotype, trois ans de conserves alimentaires et une bibliothèque de plus de 1 000 livres par navire. C'est que l'expédition a aussi pour mission diverses études zoologiques, botaniques, magnétiques et géologiques. L'équipage, jeune, solide et expérimenté, est sélectionné aussi dans cet objectif. Sous le commandement de John Franklin et du capitaine Francis Rawdon Crozier, son adjoint, l'équipage compte 129 marins, essentiellement anglais, dont 24 officiers et deux glaciologues, Reid et Blanky. En 2017, des analyses ADN indiquent, sans confirmation, que quatre femmes auraient participé à l'aventure.
Quel a été le parcours de l'expédition Franklin ?
Sur ordre de l'amirauté, le plan de route de Franklin passe par le port de Stromness aux Orcades, dans le nord de l'Ecosse. Dans la baie de Disko, sur la côte ouest du Groenland, du matériel neuf et de la viande fraîche sont livrés à bord. C'est d'ici que les hommes d'équipage enverront leurs dernières lettres à leurs proches. En août 1845, l'expédition est observée pour la dernière fois en mer de Baffin, alors que l'Erebus et le Terror cherchent les conditions adéquates pour traverser le détroit de Lancaster, entre l'île Devon et l'île de Baffin. Ici s'arrêtent les derniers témoignages des Européens de l'époque.
La suite du parcours devient un puzzle que d'autres expéditions bénéficiant d'avancées technologiques récentes permettront de résoudre au cours des 150 années suivantes. Franklin et ses hommes passent l'hiver 1845-1846 sur l'île Beechey, trois membres de l'équipage y sont retrouvés enterrés. En 1846, les navires s'orientent vers le sud du détroit de Peel, à proximité de l'île du Roi-Guillaume, où ils restent piégés dans les glaces. D'après une note datée du 25 avril 1848, laissée sur l'île par Crozier et Fitzjames, 24 hommes sont déjà morts, dont Franklin lui-même le 11 juin 1847. L'équipage prévoit de quitter l'île du Roi-Guillaume le 26 avril 1848, en direction de la rivière Back (actuel Nunavut au Canada), pour tenter de trouver une issue en direction du Pacifique.
Pourquoi l'expédition Franklin a échoué ?
La glace sur le passage choisi par Franklin, sur la côte ouest de l'île du Roi-Guillaume, ne fond pas nécessairement pendant l'été, en tout cas pas cet été-là. A l'inverse de la côte est, qui est choisie par l'explorateur norvégien Roald Amundsen (1872-1928) entre 1903 et 1906 pour franchir avec succès le passage tant convoité. Bloqué dans les glaces pendant deux hivers dans le détroit de Victoria (entre l'île Victoria et l'île du Roi-Guillaume), l'équipage est insuffisamment équipé pour un voyage terrestre. Aussi, de grandes incompréhensions culturelles empêchent probablement les Européens de tenter d'adopter les techniques de survie des Inuits. En outre, des témoignages de tribus d'Inuits précisent que les hommes de l'expédition sont morts de faim ; des recherches laisseraient penser que certains sont décédés de maladies. En bref, l'équipage n'était pas assez préparé pour une telle expédition et n'avait pas une bonne connaissance des tracés maritimes.
Quelles ont été les pertes causées par l'expédition Franklin ?
Outre les conséquences du froid et de la faim, la plupart des membres de l'équipage décèdent d'une association de maladies, que les enquêtes de terrain, les exhumations suivies d'études médico-légales à partir des années 1980, permettent de révéler. Beaucoup d'hommes meurent de pneumonie, de froid, de tuberculose et d'empoisonnement au plomb (saturnisme et scorbut probables). A bord, le système de ressource unique en eau potable présente une forte teneur en plomb. De même qu'un ensemble de contenants composés de plomb, boîtes de conserve fermées au plomb, etc. Ces constats sont notamment effectués par l'autopsie des corps "momifiés" de John Torrington, John Hartnell et William Braine, retrouvés en août 1984 sur l'île Beechey. Leurs tombes ont été conservées quasiment intactes pendant 138 ans dans le pergélisol, un constituant de la glace, rendu imperméable. John Franklin serait décédé le 11 juin 1847 sur l'île du Roi-Guillaume. Enfin, certains aspects sombres sont mis au jour : l'examen d'os par la médecine légale révèle des marques de coupures "compatibles avec un dépeçage", laissant suspecter le recours au cannibalisme pour les derniers survivants.
Quelles sont les conséquences de l'échec de l'expédition Franklin ?
Après deux années passées sans nouvelles de l'expédition, l'amirauté ordonne les premières recherches. Une équipe est dépêchée sur terre, le long du fleuve Mackenzie jusqu'à son embouchure sur les rives de l'océan Arctique. Deux autres, maritimes, sont lancées pour pénétrer l'archipel arctique canadien. Mais les trois entreprises échouent. En 1850, 11 navires britanniques et 2 navires américains parviennent aux abords de l'île Beechey, où les premiers vestiges sont découverts. Notamment les tombes des trois marins, John Torrington, John Hartnell, et William Braine.
Par la suite, d'autres expéditions, notamment celle de John Rae en 1854, et de James Anderson en 1855, rapportent des témoignages d'Inuits, et retrouvent du matériel et d'autres restes humains, en particulier près de l'embouchure de la rivière Back et sur l'île de Montréal dans la baie de Chantrey. La Grande-Bretagne cesse ensuite les recherches en déclarant l'équipage officiellement mort en service le 31 mars 1854. Jane Griffin, la femme de John Franklin, décide alors de financer une nouvelle expédition, qui prend le large le 2 juillet 1857 sous le commandement de Francis Leopold McClintock. Ce voyage permet de retrouver plusieurs documents essentiels, comme cette note datée du 25 avril 1848, indiquant que les deux navires ont été pris au piège dans la glace à partir du 12 septembre 1846.
Au XXᵉ siècle, les enquêtes reprennent. En juin 1981, est lancé le 1845–48 Franklin Expedition Forensic Anthropology Project (FEFAP) qui permet de mieux identifier de nouveaux restes humains grâce à la médecine légale moderne. L'épave du HMS Erebus est retrouvée au sud de l'île du Roi-Guillaume le 7 septembre 2014. Celle du HMS Terror au large de la côte sud-ouest de l'île du Roi-Guillaume le 12 septembre 2016. Le site national des Epaves-du-HMS Erebus-et-HMS-Terror, aujourd'hui géré conjointement par Parcs Canada et les Inuits locaux, est interdit au public.
Quelles œuvres et artistes l'expédition Franklin a-t-elle influencés ?
L'expédition Franklin inspire de nombreux artistes dès le XIXᵉ siècle et jusqu'au XXIᵉ. En 1861, le peintre Frederic Edwin Church dévoile sa grande toile "The Icebergs". "The Frozen Deep" est une pièce de théâtre rédigée en 1850 par Wilkie Collins avec l'aide de Charles Dickens. Jules Verne fait de l'épopée un traitement romancé avec "Les Aventures du capitaine Hatteras" (1866). Le romancier allemand Sten Nadolny raconte la vie de Franklin dans "Die Entdeckung der Langsamkeit" (1983). D'autres traitements écrits suivent, comme "Terreur de Dan Simmons" (2007). Enfin, l'expédition Franklin influence beaucoup le Canada, comme en témoigne la chanson de Stan Rogers "Northwest Passage" (1981), parfois surnommée officieusement l'hymne national canadien.